Gallot.JPG

Embauchées très jeunes, ces ouvrières ont en effet connu le plein emploi des années 1970 puis vécu les années sombres, celles des années 1980 et 1990, décennies de la restructuration de l'appareil productif français qui ont vu nombre d'entreprises disparaître ou être délocalisées. Cette longue période passée entre les murs d'une usine les a inscrit de fait dans une « génération ouvrière ».

Au début des années 1970, les conditions de travail des ouvrières sont déplorables. Elles oeuvrent dans le bruit, subissent des cadences infernales, manipulent des produits toxiques. L'une d'elles se souvient de barils ornés d'une inquiétante terre de mort… Ce sont ces conditions qui expliquent notamment le taux d'absentéisme important du prolétariat féminin. L'amélioration des conditions de travail est le socle de bien des luttes, obligeant les patrons à revoir leur copie. Investies dans les CHSCT, ces femmes se battent également pour que les hommes, ceux de la hiérarchie comme ceux du syndicat, admettent que la crise de nerfs n'est pas un problème féminin, hormonal ou génétique, mais l'un des modes d’expression de femmes devant se battre sur deux fronts : le front professionnel où elles subissent des conditions de travail dégradées et le front personnel où elles doivent assumer la gestion au quotidien de leur famille respective. Evidemment, cette remise en question des rôles sexués hors du salariat fit grincer bien des dents chez les syndicalistes…
1968 est passé par là. Le souffle de Mai a surpris, décontenancé et ouvert les esprits. La rencontre avec les établies, ces intellectuelles féministes choisissant de se faire ouvrière pour militer, est parfois compliquée. Les ouvrières se méfient d'elles, de leurs discours radicaux qui remettent en question les normes sociales en vigueur en milieu prolétaire ; elles les perçoivent comme des « gauchistes » petites-bourgeoises venant faire la leçon aux classes populaires. Il n'empêche : les problématiques portées par le féminisme et l'extrême gauche irriguèrent leurs tracts et leurs façons d'agir, au-delà même des années 1970, cette décennie d'« insubordination ouvrière. »
Dignité. A travers leurs différentes luttes, ces femmes défendaient leur dignité de femme et d'ouvrière. Une dignité mise à mal par le harcèlement sexuel, par le refus de beaucoup, également, de faire de l'égalité professionnelle, une revendication centrale du combat émancipateur. Une dignité de femme et de mère qui passent par le développement des droits attachés à la maternité. Une dignité qui se joue enfin autour de l'établi, dans la volonté de voir être reconnus pleinement leurs savoir-faire professionnels, alors que lentement mais sûrement les délocalisations frappent l'industrie.

De fait, ces ouvrières, en se prenant en charge elle-mêmes, en s'organisant et en luttant, sont parvenues à bouleverser le monde des hommes, celui des directions d'entreprise comme des directions syndicales. Le travail de Fanny Gallot leur rend un bel hommage en rappelant que derrière l'image de victimes des délocalisations, il y a des femmes combatives qui luttèrent… comme des ouvriers l'auraient fait pour se défendre et se faire entendre.