Dans les colonnes de Maariv, le 25 novembre dernier, le journaliste Nadav Hatzni établissait un parallèle entre les attaques au couteau perpétrés par les Palestiniens sur des Juifs au pogrom de Chisinau en 1903, comparant même les Palestiniens aux Nazis, et appelant le pouvoir à frapper plus fort ceux qui attaquent et ceux qui les soutiennent : « Nous devons montrer à tout assassin potentiel ainsi qu'à toutes celles et à tous ceux qui le soutiennent en chantant ses louanges après sa mort qu'ils se préparent à vivre une vie insoutenable faite de malheur, de destruction et de souffrance ». Nadav Hatzni n'a semble-t-il pas avoir encore compris que malheur, destruction et souffrance constituent déjà le quotidien de la plupart des Palestiniens. La Nakba (la catastrophe de 1948), l'humiliation quotidienne, la marginalisation sociale et politique, les check-points, la multiplication des colonies juives, l'absence totale d'espoir et d'avenir, voilà ce qui arment la main de ces Palestiniens suicidaires, bien plus que le seul antisémitisme, bien réel dans la société palestinienne, avancé par Nadav Hatzni.

Son confrère, Ran Edelist, se désole quant à lui de la dérive droitière, le mot est faible, du gouvernement Nétanyahou. Que penser de Naftali Bennett, ministre de l'Education, qui propose ni plus ni moins une loi faisant obligation aux artistes israéliens de prêter allégeance à l’État d'Israël et à s'engager par écrit à présenter leurs créations y compris dans les colonies juives ? ; qui annonce la création d'un prix de l'art juif ? Qui entend revoir de fond en comble les contenus pédagogiques pour leur donner une teneur plus radicale… à droite ? Il reviendra bientôt à la cour suprême, nous dit Ran Edelist, de « juger si les nouveaux contenus pédagogiques ultranationalistes relèvent de l'enseignement ou du lavage de cerveau. »

Dans l'oeil du viseur de ce gouvernement d'extrême droite : les ONG de défense des droits de l'homme. Trop pro-palestiennes, « agents de l'étranger » selon la ministre de la Justice, en tout cas à surveiller de près si leur financement dépend de façon forte de bailleurs de fonds étrangers. Comme le souligne Rachel Lied du journal Yediot Aharonot, « Israël est en train de prendre pour modèle la Russie (de Poutine) un régime ayant les apparences formelles de la démocratie mais exsangue de tout ce qui irrigue une démocratie vivante. » Désormais, écrit-elle, « on licencie des enseignants sur la base de leurs opinions publiques supposées. On interdit des livres jugées « dangereux » pour l'identité nationale (comme un roman évoquant une histoire d'amour entre un Arabe et une Juive). On réécrit les manuels d'histoire ou d'éducation civique. (…) On traque « l'agent de l'étranger » ou le traître. On exclut des députés démocratiquement élus. On attise la haine contre les « gauchistes » ou les arabes. (…) Si nous ne parvenons pas à enrayer cette spirale, nous nous réveillerons bientôt dans une démocratie à la Poutine ou à la Erdogan. Peut-être même est-il déjà trop tard. »

Rachel Lid est pessimiste et elle a bien des raisons de l'être. Jamais ce qu'on appelle le parti des colons, où racisme, nationalisme et fondamentalisme religieux se donnent la main, n'était parvenu à ce point à pénétrer l'exécutif. Jamais le camp de la paix n'a été dans un tel état de délabrement. Il n'existe plus en tant que force politique centrale depuis que le Parti travailliste a fait sa mue sous Ehoud Barak, rejoignant le camp des faucons. Il subsiste ça et là dans des structures militantes, judéo-arabes, qui mettent les questions sociales au premier plan de leur préoccupation. Certains rêvent de voir émerger une « coalition des minorités », rassemblant les Palestiniens d'Israël, les Juifs éthiopiens et yéménites victimes du racisme, les juifs russes désargentés qu'on envoie peupler les colonies de Cisjordanie et Jerusalem-Est parce qu'en Israël les loyers sont prohibitifs, sans oublier les Sépharades, juifs orientaux qui longtemps furent méprisés par l'élite ashkénaze qui dominait l’État et qui sont devenus la clientèle électorale privilégiée de la droite et l'extrême droite.

Ambitieux programme que celui de bâtir à la base des résistances, de faire de la question sociale la question primordiale, essentielle, celle que masquent trop souvent les diatribes nationalistes et religieuses, ici comme ailleurs.