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Deni Béchard nous montre un autre Congo. Il ne nie évidemment pas les violences, coloniales et post-coloniales, les guerres à répétition, les politiques prédatrices de tous les acteurs, la corruption omniprésente et cette misère effroyable qui frappe l'essentiel des Congolais. Mais Deni Béchard nous dit aussi qu'il y a des raisons d'espérer, que le pays est en plein bouleversement depuis que la Chine s'y est impliquée, et que ce frémissement peut se faire sentir jusqu'au fin fond de la forêt équatoriale. C'est là que vivent les bonobos, ces grands singes pacifiques devenus célèbres pour leur façon de désamorcer les conflits sociaux par le truchement de la sexualité. Déni Béchard, fasciné par ces « hippies de la forêt », est allé à leur rencontre en se mettant dans les pas d'une poignée de conservationnistes irréductibles, créateurs d'une ONG appelée Bonobo Conservation Initiative (BCI).

Il délivre de belles pages sur ces bonobos aux comportements si touchants et fragiles. Il se plaît à espérer que les bipèdes que nous sommes comprennent qu'ils ont plus à gagner à prendre exemple sur leur pacifisme foncier que sur l'esprit grégaire et violent des chimpanzés avec qui on les a souvent comparés.
Il nous décrit un monde d'ONG auto-centrées, paternalistes et néo-coloniales, toujours en quête de fonds pour vivre et faire vivre une bureaucratie pléthorique. Rien de tel avec BCI qui a mis les populations congolaises au coeur de son projet de sauvegarde des bonobos, pour en faire les véritables gestionnaires des réserves, c'est-à-dire des espaces ouverts et non clos comme le sont les grands parcs. BCI a investi dans l'humain, autrement dit a pris le temps de convaincre les populations locales qu'elles trouveraient avantage à protéger les bonobos plutôt qu'à les tuer pour leur viande, alors même que leur survie est en jeu chaque jour.
Ce travail nécessite beaucoup de pragmatisme car les militants, congolais et étrangers, du BCI ont compris que pendant trop longtemps les habitants ont été bernés, floués, humiliés par des mundele3 arrogants, que les Anciens des villages sont des « mines de savoir » et donc des appuis indispensables aux projets de conservation, que les cadres politiques sont tout aussi indispensables tant leur pouvoir de nuisance peut être important ; BCI a décidé de faire avec les habitants et de faire en sorte que les « gens ne se sentent pas moins précieux que les animaux à protéger ». Pragmatiques encore quand ils tablent sur le développement de l'écotourisme comme moteur d'un développement local qui serait moins dévastateur que les plantations d'huile de palme ou de café.

Des bonobos et des hommes est un vibrant plaidoyer pour une protection de l'environnement construite et pensée aussi bien par les scientifiques/activistes que par les populations locales ; et les dizaines de Congolais investis dans ce combat attestent que Sally Jewel Coxe, l'âme infatigable de BCI, a rempli sa mission : elle n'est plus indispensable à la défense des bonobos.

Notes
1. David Van Reybrouck, Congo – Une histoire, Actes Sud, 2012.
2. Citant BCI, il écrit : « « Ce ne sont ni les ministères, ni les fonctionnaires corrompus, ni l'infrastructure en ruine qui posent les pires difficultés pour le travail de conservation entrepris par BCI et ses partenaires, mais bien les ONG rivales », notamment les « grandes ONG de conservation débarquées au Congo ».