Faire travailler sa cogiteuse ne signifie pas uniquement se faire des réseaux dans les milieux de la politique ; car le problème des politiques est qu'ils ont des comptes réguliers à rendre à la masse de gueux qui les élisent, et que parfois ces gueux tiennent des propos très anti-économiques comme « vaudrait mieux taxer les riches que les pauvres », « les multinationales ont trop de pouvoir », « l'optimisation fiscale, c'est pas bien. » Faire travailler sa cogiteuse signifie être capable de trouver le moyen de contourner toutes ses règles, normes liberticides qui corsettent le business.

L'Irlande, avant l'arrivée du Messie néolibéral, c'était des poireaux, des moutons, des rouquins, du rugby, du whisky, de la précarité sociale. L'Irlande, après l'arrivée du Messie néolibéral, c'est des poireaux, des moutons, du rugby, du whisky, des sièges sociaux de multinationales et du surendettement. Grâce à une politique fiscale des plus attractives, l'Irlande est devenu l'un de ses paradis où le business libre et indépendant peut s'égayer dans la nature sans craindre de se faire estourbir par un bolchevik ou un agent du fisc, ce qui grosso modo est la même chose.

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Le gouvernement irlandais, en cogitant, venait d'inventer un système très judicieux pour attirer sur son sol les Apple, Google et autres mastodontes du monde du marché libre. Prenons l'exemple de la société TPMG. TPMG centralise l'ensemble de ses ventes dans une filiale irlandaise. Cette filiale verse elle-même l'essentiel de ses bénéfices, sous forme de royalties, à une seconde filiale irlandaise, détenant les droits sur tous les brevets de TPMG. Comme cette seconde filiale est officiellement basée aux Bermudes, l’État irlandais ne lui impose aucune taxe ; et comme aux Bermudes, il n 'y a pas d'impôt sur les bénéfices des sociétés, l'affaire est dans le sac.

Avec la crise, le développement de la précarité sociale et la conviction chez beaucoup de citoyens du monde, de droite comme de gauche d'ailleurs, que le capitalisme sauce néolibéral était néfaste, les tenants d'un capitalisme régulé ont commencé à taper du poing sur la table. Au nom de la concurrence libre et non faussée, ils ont enjoint les gouvernements les plus « pro-business » et les paradis fiscaux à mettre de l'ordre dans leurs politiques fiscales. Concrètement, le gouvernement irlandais a été obligé de revoir son dumping fiscal. Alors que notre société TPMG était taxé à 2 ou 3 %, désormais, elle le sera, en 2015, à 12 ou 13 %, taux le plus bas de l'Union européenne.
Victoire de la Justice fiscale ? Loin de là car le ministre des finances Michael Noonan a indiqué qu'il allait mettre en place sur le sol irlandais un système intitulé la « patent box », système déjà en vigueur en Belgique ou au Luxembourg, et bientôt en Grande-Bretagne, Chypre etc., système qui repose sur un principe simple : taxer au minimum tous les revenus tirés de la propriété intellectuelle, autrement dit des brevets. Grâce à cela, Noonan espère que l'Irlande, ses poireaux, ses moutons, son whisky, son rugby resteront un paradis fiscal à la hauteur des espérances des multinationales...


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Derrière le doigt d'honneur, Michael Noonan himself