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Militant révolutionnaire, écrivain de talent, Victor Serge a écrit en près de 60 ans une masse imposante de livres à caractère historique, de romans et d'articles dont certains sont passés à la postérité1

Les Editions Acratie ont choisi d'exhumer trois textes parus en 1937-1938 (Méditations sur l'anarchisme et La pensée anarchiste) et 1947 (Testament politique) qu'elle a choisi de rassembler sous le titre de Réflexions sur l'anarchisme2.

Dans ces trois textes, Victor Serge justifie politiquement son éloignement d'avec la pensée libertaire, mais aussi la nécessité de rechercher une sorte de synthèse entre un anarchisme social qui met l'humain au cœur de son projet et se perd parfois dans le romantisme, et un marxisme révolutionnaire plus scientifique et concret, mais trop souvent cynique et a-moral3.

Mélancolique, il revient dans Méditations sur son engagement anarcho-individualiste, son refus du compromis avec le vieux monde, condition sine qua non pour être soi même : mais déjà « au romantisme de l'anarchie (…) s'opposait l'efficacité du marxisme. » Dans La pensée anarchiste, Serge pointe les limites de le pensée individualiste et regrette profondément la façon dont les Bolcheviks ont traité le mouvement anarchiste ukrainien (makhnoviste), renvoyant aux calendes grecques une possible entente entre les deux courants révolutionnaires. Dans son Testament, enfin, il explique par les circonstances historiques l'évolution de la Russie soviétique, citadelle assiégée devenue Etat policier en 1927-1928, soulignant que « la centralisation, la discipline, l'idéologie gouvernée ne peuvent désormais que nous inspirer une jute méfiance, quelque besoin que nous ayons d'organisations sérieuses. »

Il place donc la dégénérescence de la Révolution russe en 1927-1928 quand Staline en bon manœuvrier liquide une opposition morcelée dont les « trotskystes » sont la pointe la plus avancée. Et c'est bien là que le bât blesse pour les libertaires (et autres) qui considèrent que la répression de l'opposition révolutionnaire, la liquidation des soviets, la mainmise du parti sur le processus révolutionnaire lui-même et sa bureaucratisation interviennent dès les premiers temps et sont tout autant une réponse aux circonstances qu'une application d'un léninisme qu'une Rosa Luxembourg, pourtant peu suspecte de sympathie pour les libertaires, n'avait pas tardé à condamner.

Victor Serge écrit : « La révolution prolétarienne n'est plus, à mes yeux, notre fin ; la révolution que nous entendons servir ne peut être que socialiste, au sens humaniste du mot, et plus exactement socialisante, démocratiquement, libertairement accomplie ». Elle devra être également anti-léniniste, mais cela, il ne nous le dit pas car il reste encore terriblement attaché à Lénine et à son Etat et la révolution dont il écrivit qu'il « pourrait, s'il y avait une bonne foi intellectuelle chez les libertaires d'aujourd'hui, dissiper tout malentendu idéologique entre anarchistes et communistes. »

Notes
1. Je vous conseille les incontournables 1000 pages de Victor Serge, Mémoires d'un révolutionnaire et autres écrits politiques 1908-1947, Robert Laffont/Bouquins, 2001 ; et Victor Serge, Carnets (1936-1947), Agone, 2012.
2. S'y ajoute Actualité de l'anarchisme de Jean Bernier, un ancien communiste devenu libertaire.
3. En 1921, Victor Serge avait déjà livré une brochure remarquable intitulée Les anarchistes et l'expérience de la Révolution russe dans laquelle il enjoignait les anarchistes à « procéder à une révision complète et méthodique de (leurs) idées » ; cette brochure se concluait par ces mots : « Dans la pratique, la seule chose qui puisse empêcher l'entente de tous les révolutionnaires pour une action commune, c'est l'étroitesse d'esprit de ceux pour qui toute pensée différente de la leur est nuisible. L'essentiel pour les anarchistes c'est qu'ils ne soient pas de ceux-là. »