Les éditions Acratie ont eu la judicieuse idée d'exhumer deux longues études de Louzon publiées en 1930 dans les colonnes de l'une des plus importantes revues ouvrières et révolutionnaires françaises : La Révolution prolétarienne. Ces deux études concernent l'Algérie dont on fêtait alors le centenaire de la soumission.

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Louzon connaît bien le Maghreb car il y travaillât une décennie (1913-1922) et s'en fît expulser pour ses propos critiques sur la politique coloniale et les colons.
Tout d'abord, Louzon revient sur la célèbre légende, celle qui explique la colonisation de l'Algérie alors sous contrôle ottoman par le coup d'éventail donné par le dey d'Alger au consul de France, un jour de 1827. La France outragée ne pouvait que réagir : elle le fait trois ans plus tard en envahissant Alger. On en oublierait presque que le geste d'énervement du régent d'Alger avait pour cause le refus de la France d'honorer ses dettes financières !

« Il restait à conquérir l'Algérie. Cela allait demander quarante ans. » Une guerre ? Disons plutôt une « expédition coloniale » et son cortège d'horreurs. Là, Louzon laisse la parole aux brutes galonnées si heureuses de rapporter leurs faits d'armes. On brûle, on pille, on tue, on ampute, on viole, on met tout un pays à feu et a sang, on enfume celles et ceux qui pour échapper aux massacres se réfugient dans des grottes (lire à se sujet Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser exterminer – Sur la guerre et l’État colonial, Fayard, 2005). Louzon oppose à la brutalité de l'armée coloniale le code moral guerrier des Kabyles qui furent les derniers à résister.

« La bourgeoisie tue, écrit Louzon sarcastique, mais il faut lui rendre cette justice qu'elle ne tue pas pour le plaisir : elle tue pour que ça lui rapporte. » Au militaire succède le juriste chargé d'exproprier les fellahs et de faire de l'Algérie une terre à l'agriculture florissante. On expulse légalement le malheureux évidemment dépourvu de titre de propriété, on y installe à sa place un colon (un surnuméraire mais aussi, parfois, un républicain dont le Second Empire ne veut plus) qui désespère bien vite de pouvoir faire fortune avec une terre aussi ingrate. Car tout le monde n'a pas la chance d'exploiter les plaines fertiles du nord. Ailleurs, la pluie manque trop souvent pour que la culture céréalière soit rentable. Il ne reste plus qu'à en faire une terre de vignes…

La dernière partie de son étude concerne la mentalité des colons et des colonisés. Un siècle a passé et pour Louzon, les « pieds noirs » (il n'emploie pas le terme) forment déjà un peuple (« L'Algérien de pur sang français se sent infiniment plus près de l'Algérien d'origine espagnole ou italienne que du Français de France »), voire même « une race » qui aime à se « comparer aux Américains » et à leur volontarisme de pionniers. Un peuple qui ne rêve pas d'indépendance mais se satisfait d'une très large autonomie financière : « On peut voter au Palais Bourbon ce qu'on voudra : à Alger, on ne l'appliquera pas »…

L'indigène, quant à lui, ne désire pas plus l'indépendance puisque celle-ci le ferait passer encore plus sous le joug de ces colons à propos desquels Louzon écrit : « Aucun gouvernement français n'est et ne sera capable d'imposer sa volonté à l'Algérie en matière indigène ».
Kabyle ou Arabe, habitant des plateaux ou des plaines, cultivateur ou éleveur, l'indigène est un enfant de la misère et de la frugalité dont le mode de vie et les aspirations ont peu bougé. En revanche, les nombreux Kabyles formant le prolétariat indigène tendent à secouer le joug du fatalisme. Ils ont compris l'importance de l'instruction et savent à quoi s'en tenir quant à leur statut au sein de la République. Louzon plaide pour que ce prolétaire-là « modernisé » noue une alliance avec le fellah « traditionnaliste », condition indispensable pour l'émancipation de tous. Emancipation politique et sociale progressiste à moins qu'elle ne se glisse sous les plis du wahabisme prosélyte. Mais pour Louzon, l'indépendance de l'Algérie n'est qu'une question de temps : les indigènes « n'attendront pas encore deux siècles (...). La politique bornée de l'Européen algérien en est le sûr garant. »