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Pourfendeur de la socio-biologie et pionnier de l'écologie radicale1, Bookchin s'était fait également le défenseur du « municipalisme libertaire », un municipalisme que Janet Biehl développe ici de façon très abordable dans cette réédition révisée d'un livre paru initialement en 1998.
Certains ne virent dans le municipalisme bookchinien qu'un réformisme marqué par un pragmatisme très anglo-saxon, pendant politique de l'économie participative d'un Michael Albert2. Janet Biehl s'en défend : il ne s'agit nullement de « bâtir un gouvernement local plus progressiste » mais bien plutôt de construire des contre-pouvoirs à la base, contre-pouvoirs permettant aux gens de bousculer le jeu politique traditionnel en redonnant vie à une forme plus directe et participative de démocratie. Un combat qui peut passer par l'arène électorale (du moment que les municipalistes libertaires restent fermes sur leurs principes, nous dit-elle, pointant du doigt l'insertion des Verts dans le jeu politicien) ou prendre la forme d'assemblées extra-légales de citoyens. Un combat qui est une lutte continue pour que les individus se réapproprient leur vie « de citoyen » mais également de « travailleur », car le but avoué est bien de « ré-enchâsser » l'économie dans le local, Janet Biehl prônant une très grande décentralisation aussi bien sur le terrain économique que politique.
Radical alors, le municipalisme ? Oui, à sa façon, même si la question des antagonismes de classe n'apparaît guère tout au long de ces 200 pages. C'est un reproche que certains avaient fait à Bookchin en son temps3. Il faut dire que Bookchin ne voyait pas dans la classe ouvrière la classe capable d'émanciper le monde ; bien au contraire, il soulignait que l'ordre usinier avait formaté le travailleur, l'avait habitué à accepter la domination, y compris celle de ses émancipateurs auto-proclamés. Chez les anticapitalistes Biehl et Bookchin, le patron, l'ouvrier, le cadre, l'employé n'apparaissent pas dans la Cité comme tels. On y trouve que des individus, des citoyens rationnels, solidaires, plus technophiles que technophobes4, égalitaristes, pour tout dire, anticapitalistes et anti-autoritaires : ce qui relie ces individus n'est donc pas leur position dans les rapports de production mais leur commun rejet de la domination politique et économique. Pour Biehl et Bookchin, la question sociale ne se réglera pas à partir des usines comme le disent les anarcho-syndicalistes mais à partir des lieux de vie des travailleurs5

Qu'on le taxe de réformiste, de révolutionnaire ou de radical, le municipalisme libertaire a été pensé comme une stratégie devant permettre aux « gens ordinaires de reprendre le pouvoir social collectif » et d'« exacerber la tension entre les municipalités et l'Etat », dans le but, final, d'abolir l'Etat et de la remplacer par un « système confédéral d'administration sociale ». Utopie ? Sans doute, mais une utopie impérative, car comme le souligne Janet Biehl, « le capitalisme et la biosphère ne peuvent tout simplement pas coexister indéfiniment. (…) La question écologique exige une reconstruction fondamentale de la société. »

Notes
1. Murray Bookchin, Une société à refaire – Vers une écologie de la liberté, Ecosociété, 1993.
2. Michael Albert, Après le capitalisme, Agone, 2003.
3. Paul Boino, "Municipalisme et communalisme", in Collectif, Le quartier, la commune, la ville... des espaces libertaires, Ed. du ML, 2001.
4. Bookchin et Biehl considèrent que la technologie est libératrice si elle soulage l'individu dans son travail et lui permet, en conséquence, de s'investir dans la vie communale.
5. Dans un texte de 1992, Murray Bookchin critiquait l'anarcho-syndicalisme en ces termes : « Si «pragmatique» et «réaliste» que puisse apparaître l'anarcho-syndicalisme, il représente selon moi une idéologie archaïque qui trouve son origine dans la notion étroitement économiciste d'intérêt bourgeois, et même d'intérêt purement sectoriel. Il repose sur la permanence de forces sociales comme le système de l'usine et la conscience de classe traditionnelle du prolétariat industriel, forces dont le déclin est évident dans le monde occidental à une époque où les relations sociales sont de plus en plus indéfinissables et où les préoccupations de société prennent de plus en plus d'ampleur. La société moderne envisage désormais des mouvements et des questions beaucoup plus vastes, qui concernent nécessairement les travailleurs, mais qui exigent un point de vue plus large que celui de l'usine du syndicat et de l'orientation prolétarienne. » cf. Collectif, Anarcho-syndicalisme et anarchisme, ACL, 1994.