A Fukushima, le capitalisme régulé déprime. Pour décontaminer la région touchée par la catastrophe nucléaire, il faut traiter 120 000 hectares de terres agricoles et 600 000 bâtiments, élaguer et décontaminer des milliers d'arbres, et parallèlement trouver des lieux de stockage parce que cette foutue merde radioactive nous survivra encore longtemps ; une foutue merde radioactive dont personne ne veut, of course ! Sans oublier que tout près, la centrale menace d'exploser et que de l'eau contaminée n'en finit plus de s'infiltrer dans les sous-sols ou de se mêler à l'eau de mer. Pour un salaire minable, des prolétaires sont invités à venir mettre en danger leur vie en accomplissant cette mission titanesque. Mal payés, peu formés, ils se débrouillent comme ils peuvent... Ne nous étonnons pas que le chantier n'aille pas aussi vite que ne le pensaient les technocrates !

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En Bretagne, le groupe GAD a licencié 900 personnes. Le volailler Doux ne se porte guère mieux et songe à virer 1000 de ses salariés. L'abattoir TillySabco a réduit de près de moitié son activité, quant à la conserverie de poissons, elle aussi bat de la nageoire. Cette branche de l'agro-business va mal, très mal. A la course au productivisme low-cost, la Bretagne ne peut pas lutter.

Mais ne cédons pas au découragement. Si le Progrès nous a mis dans la mouise, le progrès nous en sortira ! Tout problème a sa solution, et celle-ci sera technologique, résolument moderne et audacieuse ! Il y a eu la théologie de la libération, il y a maintenant la Technologie de la libération : « La faim peut disparaître grâce à la biotechnologie, la santé est affaire de génomique, la réponse au pic pétrolier est la biologie synthétique, la solution aux « limites de la croissance » est à trouver dans la nanotechnologie, Twitter comblera le déficit démocratique et le changement climatique pourra être réglée par la géo-ingéniérie. Les hommes politiques n'auront plus à concevoir de politiques, il leur suffira de subsidier les technologies du secteur privé. »1

A ceux qui pensent que l'agriculture française est vouée à une mort lente parce qu'elle est incapable de produire la même merde que ses concurrents à un prix de revient identique, Michel Ramery répond : soyons audacieux. Michel Ramery a fait fortune dans le BTP, dans le nord-ouest de la France, une terre touchée de plein fouet par la désindustrialisation. Ramery a décidé de faire construire dans la Somme une ferme-usine capable de produire 8 millions de litres de lait par an avec un cheptel de 1000 vaches et de 750 génisses, le tout avec comme touche écolo-durable, la construction d'un méthaniseur industriel fonctionnant à base de lisier ! Du coup, il se dit capable de fournir un lait au prix de 27 centimes le litre, soit au bas mot une dizaine de centimes de moins que les autres producteurs locaux.

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Qu'importe si nos braves bovidés seront confinés dans des espaces clos et à n'en pas douter, seront gavés de médocs pour éviter que les maladies liées à la promiscuité ne les frappent ! Qu'importe si cette ferme-usine à la mode américaine ou danoise liquide tous les producteurs alentour, incapables évidemment de s'aligner sur un prix de revient aussi bas ! Qu'importe si la réussite de ces mégas-fermes tient davantage de l'emploi d'un personnel peu nombreux et faiblement rémunéré, aux subventions reçues qu'à la rationalisation tant vantée ! Il n'y a qu'une seule pollution à prévenir en ce bas-monde : celle produites par toutes ces idées fausses, archaïques qui sont un frein au Progrès, au développement, à la croissance et au greenwashing. Amen !

Note 1. ETC Group et Heinrich Böll Foundation, La lutte des biomassters pour le contrôle de la Green Economy, in Alternatives sud, Economie verte : marchandiser la planète pour la sauver ?, Syllepse, 2013.