Mais voilà, Maastricht, c'est loin. De l'eau plus que saumâtre a coulé sous les ponts, des bulles ont éclaté ça et là, des banques ont fait faillite, nos impôts ont servi à les renflouer, creusant mécaniquement le déficit public, et les Etats de la zone euro les plus fragiles se sont enfoncés dans la récession.

Depuis 2008, un spectre hante l'Europe : celui de la banqueroute. Pour la conjurer, deux options se font face : dans le premier camp, on prône la purge radicale (l'austérité) ; de l'autre, une politique de relance à base d' investissements massifs qui créent de l'activité, donc de l'emploi, donc des revenus, même si cela se paie par une hausse de l'inflation. Quatre ans ont passé et ce que l'on peut dire, c'est que la politique de la purge imposée à la Grèce ou à l'Espagne n'a pas porté ses fruits : ce n'est pas en réduisant la voilure qu'une barque souffrant d'avarie ralliera plus rapidement le port !
Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ? Pour les « purgeurs », la faute en revient principalement aux gouvernements qui n'ont pas su prendre le taureau par les cornes et imposer les réformes aussi sévères que nécessaires à leurs foutus peuples ; pour les « relanceurs », les responsables sont principalement les acteurs des marchés financiers qui, pour les uns, ont peur de prêter, qui, pour les autres, profitent de la fébrilité ambiante pour spéculer à qui mieux-mieux : il faut donc ramener la confiance et faire en sorte que la zone Euro cesse d'être l'objet de la convoitise des spéculateurs. Précisons que le conflit n'est pas entre une droite néo-libérale et une gauche libérale-sociale, mais entre les gouvernements des pays non encore en récession et ceux qui le sont jusqu'au cou ou en passe de l'être.

A la crise économique qui s'étend y compris aux Etats « sains » (comment vendre des productions à ses clients habituels quand ceux-ci sont sans le sou ?) s'ajoute des crises politiques multiformes. A ceux qui prônent une autre Europe (plus sociale et solidaire) répondent ceux qui plaident pour un repli sur le national, y compris sous ses formes les plus grégaires. La xénophobie, le racisme, l'égoïsme, les fondamentalismes divers et variés surfent sur les frustrations sociales et l'absence de perspectives.
« Purgeurs » et « relanceurs » sont donc pleinement conscients que leur avenir dépend de leurs capacités à gérer dans le cadre stato-national les conséquences cataclysmiques de la financiarisation débridée de l'économie. Les « purgeurs » peuvent difficilement dire à leurs mandants qu'il va leur falloir cracher au bassinet après leur avoir imposé dans le passé quelques années de serrage de ceinture (cf. les lois Hartz en Allemagne). Les « relanceurs » peuvent difficilement faire accepter à leurs mandants une cure d'austérité alors que depuis trente ans ces derniers ont vu leurs « acquis sociaux » se déliter au nom de la compétitivité.
« Purgeurs » et « relanceurs » sont donc condamnés à trouver un compromis permettant à chacun de garder la face. Il faut que chacun fasse un pas vers l'autre, mais il nous faut garder en mémoire que ce sont les premiers qui ont les cartes en mains. Eux n'ont pas la corde eu cou...

Les récentes décisions prises au niveau européen me semble entrer dans ce cadre. En juillet et de nouveau en septembre, Mario Draghi, pour la Banque centrale européenne, a laissé entendre que la BCE allait enfin ouvrir les vannes (financières) pour ramener la confiance dans la zone euro et faire que cette dernière cesse d'être un eldorado pour les spéculateurs. Ce faisant, Mario Draghi met la pression sur les « purgeurs », en premier lieu l'Allemagne d'Angela Merkel qui, en 2011, a déjà accepté de faire une entorse à ses principes en portant sur les fonds baptismaux le Mécanisme européen de stabilité, une structure permanente et non plus conjoncturelle comme sa devancière, le Fonds européen de stabilité financière. Ce MES, embryon de solidarité financière entre Etats de la zone euro, n'a pourtant rien de révolutionnaire, bien au contraire1. Draghi met la pression sur Angela Merkel tout en sachant que la chancelière doit composer avec ceux qui refusent toute évolution du rôle de la BCE (comme le représentant de la banque centrale d'Allemagne à la BCE) et sont prêts à débarrasser la zone euro des Etats surendettés2. Il sait que la chancelière est donc fragilisée, y compris dans son propre camp qui, rappelons-le, est une coalition rassemblant conservateurs et libéraux. Mais il met également la pression parce qu'il souhaite que la BCE soit autorisée à être plus réactive, à avoir les coudées plus franches et cesse d'être sous la surveillance tatillonne de l'Allemagne.

Mais rassurez-vous, « purgeurs » et « relanceurs » sont d'accord sur l'essentiel. Les responsables de la crise ne sont pas les faucons de la finance ou le capitalisme dérégulé, mais le « modèle social européen » trop protecteur, trop généreux. Avec « purge » ou avec « relance », nous n'échapperons donc pas aux réformes de structures...


Note
1. Il souligne que « l'octroi de toute assistance financière nécessaire sera subordonné à une stricte conditionnalité », en premier lieu l'adoption du nouveau traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et en conséquence l'inscription dans chaque constitution nationale de la fameuse règle d'or sur les équilibres budgétaires. Concrètement, les pays demandeurs y perdront l'essentiel de leur souveraineté budgétaire ! C'est ce que refusent certains Allemands qui ont porté plainte devant la cour constitutionnelle de leur pays et, ce faisant, retardés son entrée en action. Le jugement rendu dernièrement leur a donné tort...
2. Dans Die Welt, le journaliste Jorg Eigendorf, opposé à une "redistribution des richesses du Nord (de l'Europe) vers le Sud (de l'Europe), fustige Mario Draghi, dit de lui qu'il "foule aux pieds les statuts de la BCE (et) fait le sale boulot des gouvernements qui, avec l'appui de la banque centrale, peuvent ralentir encore un plus le rythme des réformes"