Montanya.jpg

Bienvenue dans le delta du Niger, là où il fait toujours clair puisqu'on y fait brûler le gaz 24 heures sur 24 au mépris de la santé humaine, là où l'on patauge dans l'or noir du fait des déversements « accidentels » ou criminels5. Ici règnent les multinationales et leurs hommes de main, ces compagnies de sécurité privée formés de mercenaires et d'anciens militaires qui assistent les forces armées gouvernementales dans le maintien de l'ordre. Car de l'ordre il en faut pour contenir une population qui n'en peut plus, refuse de crever sur place sans rien dire et trouve à l'occasion le chemin de la révolte pour clamer son droit à vivre en sécurité. En réponse, le gouvernement liquide des opposants, comme Ken Saro-Wiwa6, en emprisonne d'autres, en achète aussi, à l'occasion. L'impunité est totale. Et si cela ne suffit pas, les sectes évangéliques qui pullulent sur le désespoir et la misère sont là pour vendre du rêve et de la soumission. On en compte des dizaines. La religion est un business comme un autre...

Le delta du Niger est une zone de guerre où s'affrontent armée fédérale et bandes armées, où sévissent milices privées (liées notamment à des politiciens locaux), pirates et groupes criminels ; c'est une zone de non-droit où l'Etat central et les grandes compagnies essaient de monter les communautés les unes contre les autres pour assurer leur hégémonie. Et ils ne manquent pas d'alliés. En 2009, François Fillon avait proposé que la France assure « la formation d'unités nigérianes » pour les rendre plus opératoires sur le terrain ; et d'autres, comme Zapatero et Medvedev, lui ont emboîté le pas. La « défense des intérêts de la Françafrique » méritent bien quelques cadavres, non ?
Le delta du Niger, terre de mangroves, est une zone écologiquement saccagée dont les eaux et les terres arables sont souillées, et pour longtemps. Shell (dont les installations occupent la moitié de la surface du delta) et consorts entendent maximiser leurs profits et n'ont que faire de sauvegarder un écosystème fragile. Après eux, le déluge.

« Cette merde a tout barbouillé, jusqu'au plus profond de l'âme ». Voilà ce qu'a dit à Xavier Montanya, un vieux pêcheur de Goi, un village sinistré par une marée noire « accidentelle ».
A l'heure où la multinationale anglo-hollandaise, chassée du pays ogoni par la mobilisation populaire, tente de se refaire une virginité7, préalable à son retour sur ce territoire, il est plus que nécessaire de lire ce livre. Car, malgré la violence et la répression (le quart du budget de l'Etat fédéral est consacré à la « sécurité »), les jeux politiciens et l'instrumentalisation des questions « ethniques » et « religieuses », des hommes et des femmes continuent à se battre, sans relâche, pour sauver ce qui peut l'être encore de leur delta...

Notes :
1. Le nord du pays, où se font face chrétiens et musulmans, s'enflamme périodiquement. Dans le delta, zone pétrolière de premier plan, les conflits socio-politiques (qu'on qualifie trop facilement d'« ethniques ») sont légion.
2. ''Les derniers exilés de Pinochet'', Agone, 2009.
3. Autrement dit, le Nigeria regorge d'un pétrole brut et léger très recherché par les multinationales car plus facile à travailler que d'autres.
4. Lire à ce propos, Luis Martinez, Violence de la rente pétrolière – Algérie, Irak, Libye, Presses de Sciences Po, 2010.
5. Le gas flaring (rejet du gaz brûlé dans l'atmosphère) est interdit depuis 1984 (sauf autorisation ministérielle) mais il se pratique systématiquement ici. Les déversements accidentels sont liés à des sabotages (qui alimentent le marché parallèle), mais tout aussi souvent à l'absence d'entretien des oléoducs et au peu d'intérêt (énorme euphémisme !) porté par les multinationales aux questions d'environnement.
6. Lire Ken Saro-Wiwa, Si je suis encore en vie... - Journal de détention, Stock, 1996. Ken Saro-Wiwa a été pendu avec huit autres militants ogonis le 10 novembre 1995. Militant non-violent, il était accusé d'avoir fait tuer quatre politiciens ogonis proches de Shell.
7. Pour éviter un procès public aux Etats-Unis, Shell a proposé en 2010 de verser 15 millions de dollars aux familles des neuf victimes. Celles-ci ont accepté...

Cette note a paru dans le n°227 (février 2013) de Courant alternatif