Celui qui déclarait jadis que l'économiste John Maynard Keynes avait plus fait pour la classe ouvrière que Rosa Luxemburg, ne sera donc pas le candidat socialiste à la prochaine présidentielle ; avouons-le, le socialisme, en tant que doctrine, devrait s'en remettre rapidement. Rappelons, en passant et pour mémoire, que la célèbre révolutionnaire allemande fut assassinée le 15 janvier 1919, et que son corps, jeté dans un canal berlinois, ne fut retrouvé que cinq mois plus tard. Rappelons surtout que ceux qui firent tuer Rosa Luxemburg étaient des socialistes réformistes ayant troqué l'idéal révolutionnaire pour les oripeaux du pouvoir.
De même, je ne ferais aucun commentaire déplacé sur la passion avérée de M. Tron, ancien ministre, pour le titillage des pieds, des chevilles, des genoux, voire plus si l'on en croît ses accusatrices. Cette affaire scabreuse nous a au moins appris une chose : que M. Tron était ministre, chose que peu de gens savaient ou que beaucoup avaient oublié, moi le premier. Mais quand on naît Tron, il n'est pas étonnant de se retrouver un jour ou l'autre dans la merde. Pardonnez-moi ce jeu de mots miteux, mais parfois ça soulage.

Ces deux affaires de moeurs ont inévitablement provoqué une production hallucinante d'articles en tout genre, d'émissions de tout style, de débats endiablés. Certains (je devrais dire certaines) ont eu tout à fait raison de se plaindre de la façon dont les médias français ont traité l'information. Exit la victime présumée, anonyme femme de ménage porto-ricaine devenue quelque temps plus tard réfugiée politique guinéenne. Sous le costume de la prolétaire se cachait peut-être la réincarnation de Mata-Hari ! D'autres ont pointé l'auto-censure de la presse française vis-à-vis de la vie privée des personnalités publiques. Ils ont à mon sens raison et tort à la fois. Je me fous de savoir qui couche avec qui, qui trompe son mari ou sa femme, qui boit plus que de raison, qui a fumé un pétard un soir de 1968. J'ai tendance à considérer que ce désir de totale transparence est profondément malsain, voire pervers. Cette information n'a de l'intérêt selon moi qu'à la condition que l'attitude de la personnalité porté ainsi au pilori soit en contradiction flagrante avec son fonds de commerce politicien. Qu'un père-la-pudeur défenseur des valeurs familiales s'adonne à l'adultère, voilà qui est drôle, instructif... et terriblement banal ! Il n'a qu'à voir la longue liste des télévangélistes américains (Swaggart, Bakker...), moralistes et pudibonds survoltés, tombés de leur piédestal pour adultère, homosexualité, relations sexuelles avec des prostituées et, accessoirement, détournements de fonds. L'habit n'a jamais fait le moine.

A se focaliser sur les actes de violence à caractère sexuel les plus agressifs, on en oublierait presque le sexisme banal qui régit toujours notre société. Je ne parle pas de l'inégalité régnant entre les sexes concernant le partage des tâches ménagères, les salaires ou les déroulements de carrière. Je veux parler de ce discours si anodin et banal qui fixe les devenirs des sexes.
La dernière campagne d'affichage du Ministère de l'enseignement me semble révélatrice de cela. On y voit une femme assise et détendue, lisant un livre dans son salon, heureuse de voir ses espoirs se réaliser : enseigner, partager son savoir, ses valeurs. Oui, nous dit l'affiche « Laura a trouvé le poste de ses rêves ». On y voit un homme travaillant sur son ordinateur. Julien aussi semble satisfait. N'a-t-il pas trouvé, nous dit l'affiche, un « poste à la hauteur de ses ambitions » ?

Laura lit un livre, ce truc en papier symbole de l'ancien temps, celui d'avant l'ère du numérique, tandis que Julien travaille sur ordinateur parce que le sexe fort est dans la modernité, les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Laura avait un rêve. C'est beau un rêve. Mon vieux dictionnaire me dit qu'un rêve est « une chose très jolie, très agréable », que « c'est une idée plus ou moins chimérique poursuivie avec l'espoir de réussir ». Julien, lui, ne rêvait pas. Il avait les deux pieds sur terre et ne désirait qu'une chose : trouver un poste à la hauteur de ses ambitions. D'un côté, la douceur de la femme, éternelle rêveuse, de l'autre le volontarisme de l'homme, cet ambitieux, ce bâtisseur qui affronte le monde le couteau entre les dents. Et au milieu, le sexisme ordinaire, banal qui enfile les stéréotypes comme d'autres les perles.