Tout d’abord elle nous met dans les pas de Ruben Jamarillo, assassiné froidement en 1962. Ancien compagnon d’armes de Zapata, Jamarillo est l’archétype du militant paysan mexicain, socialisant tout autant que profondément religieux. La question de la terre est pour lui fondamentale. La réforme agraire, cette éternelle promesse faite aux gueux, ne le satisfait pas puisque le peon demeure toujours sous le joug des grands propriétaires terriens et des politiciens. Dans les années 1940 et 1950, les jamarillistes vont à plusieurs reprises prendre les armes pour défendre les intérêts des petits paysans mexicains. Prendre les armes pour témoigner de sa colère, et les déposer dès que semble apparaître un espoir de règlement politique pacifique du conflit. Car la grande force du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) réside dans sa capacité à « convertir » ses opposants en alliés, à les « intégrer » au jeu démocratique, à leur offrir des places. Parti clientéliste, social-démocrate, membre de l’Internationale socialiste, le PRI fait le jeu de l’oligarchie tout en entretenant un discours social « radical » et, dans les luttes factionnelles qui le déchirent, les candidats au pouvoir s’évertuent à gagner à eux les révoltés des villes et des campagnes.

Dans les années 1960, d’autres acteurs entrent en scène. Ce sont de jeunes intellectuels ruraux qui, souvent instituteurs, reçoivent les doléances des peones et les aident dans leur combat contre les grands propriétaires terriens. Galvanisés par la Révolution cubaine et la figure de Che Guevara, ces militants, comme Arturo Gamiz ou Genaro Vazquez, comprennent bien vite que la voie légale est incapable de transformer la situation politique et économique de leur pays, d’autant plus qu’ils se heurtent tout de suite à la répression, qu’elle soit le fait des forces armées ou des « gardes blanches » (paramilitaires à la solde des caciques). Une répression qui, très rapidement, devient massive et indiscriminée : l’armée liquide froidement aussi bien les guérilleros que les paysans qu’elles trouvent sur son chemin et qu’elles soupçonnent de les aider. C’est une politique de terreur qui sévit dans les campagnes en ébullition.

Parallèlement, la colère gronde également sur les campus. Les étudiants revendiquent, s’organisent, affrontent la police ou subissent ses coups comme lors des événements tragiques du printemps 19681. De multiples groupes révolutionnaires font leur apparition, souvent formés par d’anciens militants des Jeunesses communistes qui ne se reconnaissent plus dans le modérantisme de leur organisation, s’affichent pro-Cubains ou pro-Chinois, mènent des actions de guérilla urbaine ou tentent d’installer des foyers révolutionnaires dans les campagnes. L’auteur a judicieusement inséré dans le livre un chronogramme des mouvements armés mexicains, ce qui permet de se repérer dans le maquis des organisations qui tantôt s’allient, tantôt s'écharpent et s'entredéchirent. C'est ainsi tout un pan de la jeunesse mexicaine qui va verser dans la contestation sociale, radicale ou non. Et cet engagement, elle va en payer le prix : tortures systématiques, exécutions sommaires, disparitions. L'un des grands intérêts de cet ouvrage est de rappeler ce que furent les pratiques contre-insurrectionnelles du pouvoir mexicain, ce même pouvoir qui fait tout ce qu'il peut depuis pour que la « recherche de la vérité » ne se transforme en réquisitoire sur sa légitimité actuelle et passée. D'autant que depuis le 1er janvier 1994, du côté du Chiapas, des communautés en armes lui rappellent que la lutte armée est inscrite profondément dans la culture révolutionnaire du pays.


On doit également aux Editions Lux l'ouvrage de Jesus Silva Herzog, Histoire de la révolution mexicaine 1910-1917, Lux, 2009. Une recension de ce livre est disponible sur ce blog.
Sur l'année 1968 au Mexique, lire le témoignage de Paco Ignacio Taibo II, 68, L'Echappée, 2008, 125 p.

Cette note, remaniée, a trouvé place dans le numéro de novembre de Courant alternatif.