Ah le beau spectacle !
Les premières minutes furent remarquables. Chérèque, brouillon et balbutiant, s’évertua à faire comprendre aux gueux que non, nous n’avions pas perdu la bataille des retraites, mais que nous allions entrer dans une autre phase puisque ladite réforme venait d’être adoptée : CQFD. Thibault, moins brouillon et balbutiant, répéta la même chose.
De quoi sera faite cette nouvelle phase ? J’avoue ne pas avoir bien tout compris. Alors, je me suis rendu sur le site de la CFDT et j’y ai lu ceci : « Nous avons jusqu’ici gagné la bataille de l’opinion. Sondages après sondages, une majorité de Français valide une approche qui est aussi la nôtre : la nécessité d’une réforme juste et négociée. Cela se traduit par un soutien populaire aux manifestations, une confiance en hausse dans les organisations syndicales. C’est à ce jour un acquis indéniable. Il nous place à un haut niveau d’attentes et de responsabilité dans l’issue de ce mouvement et les prolongements de notre action syndicale. Cet élan de sympathie, pour être conservé, exige une prise de distance avec toutes formes de radicalité. La CFDT conteste cette réforme et pèse dans le débat. Elle continuera à le faire dans le cadre de l’intersyndicale en ayant soin de proposer des modes d’action permettant, dans le respect des personnes et des biens, de maintenir la mobilisation des salariés et le soutien de l’opinion. »
Me voici rassuré : afin de sauver un mouvement social qui court à sa perte, la CFDT entend prendre ses distances avec « toutes formes de radicalité » et privilégier des mobilisations respectueuses des « personnes et des biens ». Les manifestations pacifiques n’ont rien donné ? Le gouvernement est resté sourd aux cris des millions de manifestants ? Qu’importe ! Ne changeons pas une stratégie qui est en train d’échouer ! Le réservoir d’une voiture étant un bien qu’il faut respecter, cessons de bloquer les raffineries et les dépôts, cessons de perturber le bon fonctionnement de l’économie capitaliste. Manifestons, marchons dans les clous et advienne que pourra !
Et tout ce discours repose sur des phrases-type du style : « Ce sont les salariés qui décident, pas nous ! » Comme je ne suis plus depuis longtemps un perdreau de l’année, je sais bien, comme nombre d’entre vous j’imagine, que la réalité est bien loin de ce que Chérèque énonce. Les directions confédérales ne sont à l’écoute des masses que lorsque cela les arrange. Comme l’a écrit joliment un internaute : « Le rôle principal des centrales syndicales n’est pas de lutter, c’est d’être central ». Chérèque ne veut pas d’une radicalisation du mouvement, parce que cette radicalisation le marginaliserait.
Et la CGT, qu’a-t-elle a dire sur la nouvelle phase de mobilisations qu’elle nous promet. Pour le savoir, il suffit de se rendre sur son site internet et de lire un texte intitulé « Non, tout n’est pas joué ! ». Là, vous pourrez lire ceci : « Contrairement à ce que le gouvernement souhaiterait faire croire, la loi de réforme des retraites n’est pas encore "bouclée". (…) Le recours devant le Conseil Constitutionnel, qui devrait être introduit par les élus de Gauche immédiatement après le vote des assemblées, suspendrait la promulgation jusqu’aux alentours du 15 novembre. Car le Président de la République ne pourra promulguer la loi que si le texte est validé par le Conseil. Il doit donc attendre l’examen et la décision du Conseil Constitutionnel, et sous réserve qu’aucune censure, partielle ou totale ne soit apportée au texte, ce qui obligerait à la réécriture de la loi. »
Ainsi donc, Thibault nous appelle à nous mobiliser derrière les élus de gauche afin de faire pression sur le Conseil constitutionnel ; un conseil constitutionnel qui compte dans ses rangs un seul homme de gauche, et encore s’agit-il d’un ex, en l’occurrence le facétieux Michel Charasse !
Invité par Nicolas Demorand sur France 5 dimanche dernier, Bernard Thibault est allé même plus loin : il pense que les prochaines manifestations, par leur ampleur, seront de nature à faire plier le Président de la république. Et au journaliste lui demandant s’il croyait vraiment à ce qu’il disait, Thibault répondit : « On n’appelle pas à mobiliser en désespoir de cause ! »

Et bien si, Bernard, tu appelles à manifester en désespoir de cause. Tu vas à Canossa mais tu ne veux pas l’admettre parce que tu ne veux pas perdre la face. Tu ne veux pas plus de la radicalisation du mouvement que ton compère. Tu sais que le défaite est au bout mais tu ne la veux pas humiliante.
Rassure-toi, elle ne le sera pas. Car lundi soir, ni Estrosi, ni Parisot n’ont fait preuve de triomphalisme. Ni morgue, ni mépris, ni arrogance. Ils savent bien qu’ils n’ont rien à gagner à humilier l’adversaire (pardon, le partenaire), puisqu'ils vous savent acquis aux vertus du dialogue social. Ils savent bien que demain sera un autre jour. Ils savent bien que vous avez tant de choses à faire ensemble. Et lundi soir, alors que l'émission touchait à sa fin, nous en eûmes la touchante confirmation. L’assemblée se quitta sur la promesse de rencontres futures concernant l'emploi des jeunes et le chômage des vieux, à moins que ce ne soit l’inverse. Show must go on…