Une douzaine de chercheurs et journalistes ont été invités à dresser le tableau de ce pays-mosaïque où les élites de toutes les confessions se disputent le pouvoir depuis des décennies.

Les dernières élections législatives de juin 2009, marquées par un fort abstentionnisme, n'ont guère apporté de motifs d'espoir. L'heure est plutôt au raidissement. Le politologue Sami Aoun souligne ainsi que la gauche et le camp laïque ont disparu des bancs de l'Assemblée nationale au profit des forces politiques confessionnelles. Car il n'y a pas de « citoyens » au Liban, mais des Chrétiens, des Sunnites, des Chiites, des Druzes qui se rendent aux urnes et apportent majoritairement leurs suffrages aux caciques qui se présentent comme les représentants légitimes de la communauté. Il n'y a pas de « citoyens » au Liban mais des clientèles électorales captives qui se mettent sous la protection d'un chef, votent et attendent en retour que celui-ci leur permette de vivre mieux au quotidien. Confessionnalisme et clientélisme sont les deux piliers du système politique libanais. Et il n'y a aucune raison que cela change. L'économiste René Yerli nous explique ainsi que « le repli communautaire alimenté par la pauvreté grandissante dans un pays où les filets sociaux ultimes sont fournis non par l'Etat mais par la famille proche et souvent par la grande famille qu'est la communauté religieuse permet à certaines élites dirigeantes communautaires de récupérer politiquement les couches les plus pauvres de leur communauté par l'intermédiaire des services sociaux privés. » C'est le cas notamment du Hezbollah, représentant hégémonique de la communauté chiite, qui creuse des puits, forme à l'agriculture, tient des écoles et des hôpitaux, assure la distribution d'eau potable et d'électricité dans les zones qu'il contrôle.

L'économiste Ziad Hafez n'y va pas quatre chemins. A ses yeux, le Liban « n'est désormais qu'une confédération de communautés religieuses et de tribus ». Le Libanais est pieds et poings liés. Il n'existe pas en dehors de sa communauté : « Instrumentalisant la religion pour justifier l'injustifiable, l'establishment politique libanais exacerbe délibérément les peurs, les angoisses, et mêmes les fantasmes pour consolider une mentalité de siège et d'assiégé. Ainsi, la communauté est en danger si les chefs de ladite communauté n'obtiennent pas « leur part du gâteau ». leur intérêt personnel est assimilé à celui de la communauté (...) Un climat de suspicion domine alors le comportement des factions. »

Tenir la machine étatique, ne serait-ce que par un bout, c'est avoir l'assurance d'avoir accès aux ressources financières, c'est être en mesure de faire avancer ses affaires et celles de ses amis, c'est être en capacité d'être corruptibles, c'est se constituer une rente. Les politiciens libanais sont des prédateurs dont le principal souci est de ne pas se retrouver exclus du jeu. D'où des alliances pouvant apparaître contre-nature aux profanes, comme celle liant le Hezbollah, mouvement chiite pro-syrien, et le parti du général Aoun, chrétien maronite anti-syrien, où les volte-faces du chef druze Walid Jumblatt, qui fut longtemps l'ami du pouvoir syrien et l'ennemi des milices chrétiennes, avant d'agonir d'injures Bachir El-Assad et d'en appeler à une alliance interconfessionnelle.

L'histoire du Liban contemporain est une histoire de consensus et de dissensus comme le souligne Ghassan El-Ezzi : « Ce régime alterne ainsi entre les phases de « consensus » où les leaders se partagent le gâteau du pouvoir, et les phases de « dissensus », souvent pour des raisons qui les dépassent, qui portent les germes d'un conflit et même d'une « guerre pour les autres », à savoir leur « protecteurs » étrangers. »

Il faudra du temps avant que Samar ne se réconcilie avec la « démocratie libanaise ».


Cette note a été publiée dans le n°198 (mars 2010) de Courant alternatif.