Il fut un temps où Haïti tremblait. Haïti tremblait jour et nuit. Le danger ne venait pas de ce sol si pauvre et fragile, mais du bruit des bottes. Il fut un temps où les Tontons Macoute faisaient régner la terreur sur l'île. Ils étaient les yeux et les oreilles du pouvoir, celui de la famille Duvalier. Il y eut le père, François de son prénom, médecin de profession, élu président en 1957, puis autoproclamé président à vie. Pour se protéger, il s'entoura d'une milice privée, ces fameux Tonton Macoute, exécuteurs des basses oeuvres, qui se payaient sur la bête, autrement dit le peuple haïtien. Papa Doc passa le flambeau à son cher fils, Jean-Claude, surnommé affectueusement Bébé Doc. Le poupon rondouillard, élevé au sein de l'autoritarisme, poursuivit l'oeuvre de son père. En 1986, chassé par une insurrection populaire, il vînt s'installer en France. Car le pays des droits de l'homme et du citoyen à l'âme charitable.

Après avoir connu quelques décennies de stabilité politique, c'est-à-dire de dictature duvaliériste, le pays entra dans une zone de turbulences, faite d'autoritarisme et de phases de décompression autoritaire, sous l'oeil vigilant de quelques grandes puissances. Au sein de l'élite haïtienne, les vautours se battaient pour le pouvoir. Depuis 2006, le pays était entre les mains de René Préval, un proche de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, le défenseur des pauvres, qui confirma bien vite le vieil adage de Louise Michel : « Le pouvoir est maudit ». Comme l'écrit José Antonio Guttierez, « le séisme a été autant dévastateur car il s'est abattu sur un peuple déjà dévasté par un siècle d'interventions militaires, de pillages éhontés au vu et au sus de tous, orchestré par des régimes autocratiques soutenus par les Etats-Unis et la France et par les politiques des institutions financières. »



Il est une autre île de misère : Madagascar. Si Haïti et Madagascar ne sont en rien comparables, il y a cependant une chose qui les réunit : leur élite politique, tout aussi corrompue et prédatrice. Contrôler l’Etat, c’est s’assurer le contrôle d’une partie des ressources du pays, notamment de l’aide internationale ; c’est favoriser ses réseaux, se constituer une clientèle électorale. Tous ne sont pas pourris jusqu’à la moelle, c’est entendu ; disons que bien peu ont le « sens de l’Etat », et de « l’intérêt commun ».

Haïti n’a rien à offrir au commerce international, hormis son tourisme de masse à base de sable blanc et de rhum. Madagascar, par contre, a des arguments. Elle a du pétrole, de l’uranium, du nickel et même de l’ilménite.
L’ilménite est un minerai riche en oxyde de titane. Et l’oxyde de titane intéresse l’industrie automobile ou celle des cosmétiques. La multinationale Rio Tinto, après des années de recherches, a découvert un gisement important d’ilménite du côté de Fort Dauphin, au sud-est de l’Ile.

En 2002, l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana, l’homme providentiel qui avait si bien réussi en affaires, fait avancer le dossier. La banque mondiale soutient le projet minier en finançant via un prêt la construction d’un port pour l’exportation du minerai. L’Etat malgache accorde des conditions très avantageuses au groupe minier et à sa filiale locale QMM, qui elle, sans doute au nom du développement durable, s’engage à dédommager les populations locales des conséquences de l’installation d’un tel site sur son territoire. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes marchands. La création des infrastructures routières et portuaires crée de l’emploi, les salaires sont bons, la ville se développe afin de loger les travailleurs, la prostitution connaît un boom. Le développement, c’est rentable. Mais voilà…

Le site minier se trouve dans une forêt primaire qu’il a fallu amputer de 200 hectares. Les femmes, à la saison, s’y rendaient souvent pour y ramasser des roseaux, confectionner des paniers et, ainsi, gagner un peu d’argent. Aujourd’hui, il leur faut louer un camion et faire une quinzaine de kilomètres pour espérer trouver ce fichu roseau. L’eau rejetée par le site minier, s’avère nuisible aux cultures : la production des légumineuses est en chute libre. A la fin des chantiers, les paysans expropriés, qui s’étaient transformés en manœuvres sur les chantiers, sont retournés gratter la terre qu’on leur avait donnée en compensation. Mais cette terre ne donne rien d’autres que des larmes. Le paysan pauvre qui tirait de la terre de quoi subvenir chichement à ses besoins est devenu un prolétaire aux bras sans valeur.

Il est des séismes d’apparence moins dramatique et spectaculaire que celui qui a frappé Haïti. Pour nombre de populations, certains projets de développement font partie de ces séismes-là.