Banlieusard lyonnais, fils de prolétaires, bon élève mais dilettante, Georges Valero a marqué de son empreinte l'histoire sociale rhodanienne. Il s'est battu pour que la culture, sa pratique comme son accès, ne soit plus le privilège de quelques-uns ; en somme, que la culture soit une arme : une arme pour l'émancipation sociale et politique, une arme nécessaire pour contenir et repousser la sous-culture de masse abrutissante.

Insatisfait et inclassable, Georges Valero l'était. Son engagement en témoigne. Syndiqué à la CGT, exclu en 1969, il rejoint la CFDT afin de « redonner à la classe ouvrière la fierté d'être ouvrier, d'être créateur ». L'idylle sera de courte durée. La centrale d'Edmond Maire a décidé de faire le ménage en se recentrant : l'épuration commence et Valero le gauchiste prend place dans la charrette dès 1977. L'année suivante, avec les anciens cédétistes du centre de tri de Lyon-Gare, il est l'un des fondateurs du SAT (Syndicat autogestionnaire des travailleurs), structure syndicale atypique qui servira de socle à la création de la CNT, syndicaliste-révolutionnaire, une décennie plus tard. Voilà pour le parcours syndical.

Adhérent au PCF dans les années 1950, à la veille d'être envoyé se battre en Algérie, il se rapproche des trotskystes dans les années 1960, est séduit par le maoïsme bouillonnant des années 1970, avant de prendre place au sein de la galaxie libertaire lyonnaise. Voilà pour le parcours politique. A lire cet itinéraire singulier, on pourrait voir en lui une girouette, un indécis. Il n'en est rien. Valero n'est pas impulsif, il n'agit pas sur des coups de tête. Je le pensais meneur, il apparaît davantage comme un élément modéré : il n'était ainsi pas favorable à la création du SAT ou d'une section CNT. Comme l'explique l'un de ses amis, « Jojo, il était comme ça : il regardait d'abord, il s'investissait ensuite. »

Et quand Valero s'investit, il fait feu de tout bois. On le retrouve évidemment dans toutes les luttes ouvrières de cette France des années 1960-70 qui n'en manque pas. Mai 68 le galvanise, Lip l'enchante. Valero n'est pas ouvriériste, ni corporatiste ; il déteste le conservatisme, le modérantisme. Il trouve dans la jeunesse, étudiante et ouvrière, dans l'utopie autogestionnaire, ce supplément d'âme, cette énergie et cette radicalité capables de régénérer le syndicalisme ouvrier. Il se bat pour une pratique syndicale exigeante et aurait certainement souscrit à ces mots de Marcel Martinet : « Une propagande qui récite et qui fait réciter (...) est une trahison, trahison de l'homme, et immédiatement trahison du prolétariat » (Marcel Martinet, Culture prolétarienne, Agone, 2004, p. 59).

Valero l'écrivain, auteur d'une poignée de romans analysés longuement par Christian Chevandier, ne flatte pas le prolétariat. Il se bat et écrit pour qu'elle reconquiert sa dignité : « Je crois que j'ai toujours écrit pour mes compagnons de travail, pour les gens avec lesquels je travaille, pour leur dire : « Non, vous n'êtes pas des merdes (...) ce n'est pas parce que vous êtes ouvriers que vous n'avez pas droit à la parole » C'est à dire que chaque fois que j'écris un bouquin, j'essaye de redonner son honneur à la classe ouvrière. »

Valero est un « passeur de culture ». C'est un boulimique qui aime la littérature, le théâtre, l'opéra ; c'est aussi un cinéphile passionné. Avec le soutien de Louis Viannet, futur secrétaire général de la CGT, il lance un ciné-club à destination des postiers pour combattre le cinéma commercial qui envahit les écrans. Chaque projection se transforme en forum où l'on débat du film passé, de son « message politique ». Le chapitre que consacre Christian Chevandier à cette initiative est passionnant. Et la question qui se pose à sa lecture est toujours d'actualité : comment détacher sur le temps long les travailleurs de la culture de masse, de l'entertainment ; comment le faire sans se poser en censeur ? Car l'entreprise a échoué : le public postier s'est rapidement lassé des débats sans fin accaparés par les « intellectuels », et les initiateurs du ciné-club ont fini par se convaincre de l'échec de leur projet initial.

« Tout homme n'existe que parmi les siens ». Ecrire sur Georges Valero, c'est parler de tout un univers aujourd'hui disparu : un univers prolétarien, urbain sur lequel régnait, hégémonique, le PCF, sa culture et ses valeurs ; c'est parler de sa première compagne, enseignante et militante d'extrême-gauche ; c'est parler de cette jeunesse ouvrière, issue du giron communiste, qui s'en émancipe et cherche sa voie, sans renoncer pour autant à son rêve d'émancipation collective. Ecrire sur Georges Valero, c'est rendre hommage à un militant qui n'a jamais rompu et a vécu par et pour le collectif. Il s'y fondait mais ne s'y perdait pas.
En suivant pas à pas ses engagements, en connaissant sa passion de la lecture et de l'écriture, passion ô combien individuelle, j'ai le sentiment qu'il se serait retrouvé là-encore dans ces mots de Marcel Martinet, écrivain, poète et militant syndicaliste-révolutionnaire comme lui : « La pensée naît de la solitude. Il faut que l'homme, seul avec lui-même, happe ce qu'il peut saisir de la réalité et reconstruise le monde :voilà un égocentrisme obligatoire et sans quoi l'individu ne sera jamais qu'un suiveur d'autres individus ou de collectivités, et le jouet des circonstances » (Marcel Martinet, Culture prolétarienne, Agone, 2004, p. 102).

Cette note, écourtée, a été publié dans le n°162 (avril 2010) de la revue Gavroche.