Le WorkChoices reposait sur quatre piliers :

Premier pilier : la suppression des protections contre les licenciements abusifs. Les salariés licenciés ne pouvaient plus attaquer leur entreprise devant les tribunaux si leur licenciement était lié à des contraintes économiques, structurelles, techniques ou, nous disait le texte, « de tout autre motif de la sorte ».

Second pilier : l’individualisation de la relation d’emploi. Pour aller vite, les salariés soumis à ce nouveau contrat d’embauche ne pouvaient pas s’appuyer comme leurs collègues plus anciens dans l’entreprise sur les conventions collectives existantes ou les accords d’entreprise en vigueur. Etait-ce la porte ouverte à tous les abus ? Non, disait le gouvernement, car l’entreprise devait tout de même offrir certaines garanties de base protégées par la loi, notamment celles relatives au temps de travail, aux rémunérations et à je ne sais quoi d’autres. Cependant, il s’avère que 16% des dits nouveaux contrats supprimaient toutes ces fameuses garanties de base, 63% ne comprenaient plus de compensations pour le travail de nuit ou de week-end, 29% comprenaient une réduction des temps de pause etc etc.

Troisième pilier : la destitution des tribunaux du travail notamment en ce qui concerne la détermination des salaires minima. Les tribunaux du travail étaient des organismes indépendants qui, concernant les salaires minima, surfaient entre les revendications syndicales et celles du patron et du gouvernement : en clair, ils coupaient la poire en deux. John Howard a mis fin à cela en mettant en place l’Australian Fair Pay Commission, une agence gouvernementale placée sous la férule d’experts des marchés financiers, chargée de fixer les fameux minima. L’expert en marché financier cultivant assez rarement l’empathie à l’égard des classes populaires, on imagine sans mal ce qui peut advenir du pouvoir d’achat des bas salaires.

Quatrième et dernier pilier : la mise en place de sévères restrictions à la liberté d’action syndicale. La liste des restrictions était tellement longue que mon intervention pourrait durer une heure ! Je ne m’attarderai donc que sur un exemple relatif au droit de grève. Imaginez que le syndicat des boulangers de Sidney lance un mouvement de grève. Et bien, il suffit qu’une seule personne, non-membre du syndicat des boulangers, ou bien membre d’un autre syndicat, par exemple celui des pâtissiers, apporte son soutien à l’effort de grève pour que la grève, dans son ensemble, devienne illégale. La solidarité de classe est proscrite ! Et si la grève est illégale, le syndicat peut être condamné et verbalisé ! Sans oublier que la grève peut être décrétée illégale si elle menace de porter atteinte à la vie, à la sécurité, à la santé ou au bien-être de la population ou d’un groupe social particulier, ou bien si elle risque d’affecter l’économie du pays.

A la fin de l'année 2007, les urnes ont parlé. La coalition libérale-conservatrice a été sanctionnée, et ce sont les travaillistes, appuyés fortement par les organisations syndicales, qui se sont emparés du pouvoir. Dès leur prise de fonction, ils ont retiré WorkChoices comme ils l'avaient promis, mais ce n'est que tout récemment, après deux ans d'intenses négociations, qu'ils ont fait adopter le Fair work act.

Le Fair work act est revenu sur certaines dispositions du Workchoices. Il a remis en place des mécanismes pour protéger les salariés du licenciement abusif, établi une dizaine de normes nationales valables pour tous les salariés, qu'elles concernent le temps de travail, la durée des congés parentaux ou les congés payés, mais laissé aussi aux partenaires sociaux le soin de négocier les tarifs des heures de nuit, des heures supplémentaires etc. De même, le Fair work act est revenu sur la possibilité offerte aux entreprises de négocier des contrats individuels ; des contrats qui, n'étant pas adossés aux conventions collectives en vigueur, ouvraient la porte aux pires abus.
Nous devrions nous réjouir de voir des sociaux-démocrates tenir enfin leurs promesses électorales. C'est si rare ! Mais à y regarder de plus prêt, il semble plus juste d'affirmer que les travaillistes australiens n'ont fait qu'éliminer du WorkChoices les mesures les plus rétrogrades et les plus sujettes à l'indignation humaniste.
Les travaillistes n'ont ainsi quasiment pas touché aux « domaines qui ont une importance organisationnelle pour les syndicats, comme le droit de grève et les modalités d'entrée sur les lieux de travail ». Autrement dit, il n'est pas question pour les travaillistes de légiférer afin de redonner du pouvoir aux syndicats.

Il serait utile de faire le parallèle entre l'expérience britannique et l'expérience australienne. Rappelons que dans les deux cas, le parti travailliste admet des adhérents individuels et des adhérents collectifs, en l'occurrence des syndicats (ou trade-unions). Des adhérents collectifs qui paient des cotisations ; d'où le raisonnement des libéraux : empêcher la syndicalisation, c'est tout autant libérer le patronat de la pression collective des travailleurs qu'affaiblir financièrement l'adversaire politique !

En Angleterre, durant de longues décennies, le poids des bureaucraties syndicales dans la désignation des candidats travaillistes aux élections fut très important. C'est pourquoi le New Labour de Tony Blair s'est efforcé de limiter leur capacité de nuisance(1). Margaret Thatcher s'était chargée de leur couper les ailes sur le terrain social(2) ; Tony Blair s'est chargé de les museler au sein du parti travailliste, pour donner à l'inverse plus de poids aux adhérents individuels, issus des classes moyennes et de la petite-bourgeoisie, très éloignées culturellement du monde ouvrier et de ses valeurs. Le Parti travailliste australien de Kevin Rudd se situe dans la même problématique.
Il veut bien rétablir « un » équilibre dans les relations Capital/Travail, mais pas au point où les syndicats seraient mis en capacité de peser réellement sur les choix économiques et politiques gouvernementaux. Il veut bien redonner du « pouvoir » ou des protections à l'individu-citoyen-salarié, mais pas aux structures de défense collective des travailleurs, quand bien même celles-ci n'ont rien de révolutionnaire. Il veut bien un syndicalisme responsable, raisonnable, pragmatique, « participatif » : en somme un corps intermédiaire entre patron et salarié reposant sur un groupe de techno-bureaucrates vivant grâce au dialogue social. Il ne veut pas d'un syndicalisme combatif, « lutte de classes », capables par la grève de gêner la marche du monde... celui des affaires.

Nota : les informations qui m'ont permis de rédiger ce papier sont issues de « Relations professionnelles : nouveau pouvoir, nouvelle donne » (Chronique internationale de l'IRES n ° 120, septembre 2009). Le texte est accessible en ligne sur le site de l'IRES.

(1) Lire à ce sujet Philippe Marlière, La social-démocratie domestiquée – La voie blairiste, Aden, 2008.

(2) Noëlle Burgi, L'Etat britannique contre les syndicats, Kimé, 1992.

Cet article a été publié dans Courant alternatif n°195 (12/2009)