Curieux paradoxe : l’Espagne compte 76 000 détenus, soit 166 détenus pour 100 000 habitants alors même qu’elle affiche un taux de criminalité parmi les plus bas des quinze pays de l’Union ; un taux moitié moins élevé par exemple que celui de la Grande-Bretagne. 76 000 détenus, c’est 13 000 de plus qu’en 2006. A croire que le socialisme moderne, adapté, libéral prôné par José Luis Zapatero ne peut se passer de la pénalisation de la misère.

Pour José Luis Diès Ripollès, professeur de droit pénal, « le taux d’emprisonnement n’est plus lié à la criminalité mais à la politique pénale ». Depuis plusieurs années, on assiste à un durcissement des peines infligées aux délinquants, ce qui fait, en conséquence, que les détenus passent plus de temps derrière les barreaux qu’auparavant. Parallèlement, le Code pénal, remodelé en 1995 sous le socialiste Felipe Gonzalez, a liquidé les remises de peine pour bonne conduite et établi que les peines devaient être intégralement purgées, « a pulso » comme l’on dit outre-Pyrénées.

Du coup, des voix s’élèvent pour demander un changement de réglementation et faire en sorte que l’enfermement ne soit plus l’alpha et l’omega de la politique sécuritaire ; faire, comme le dit José Luiz Diès Ripollès que « la prison ne soit que le dernier recours, et non plus le seul et unique ». C’est un phénomène que l’on retrouve également aux Etats-Unis où, dans certains Etats, on réfléchit à des alternatives à l’incarcération afin de désengorger les prisons ; des prisons gérées par des entreprises privées qui semblent ne plus y retrouver leur investissement !

Si l’on considère que l’enfermement est criminogène et grandement incapable de préparer le détenu à son insertion futur dans le « monde réel » ; si, en somme, on juge que le système dans sa dimension éducative (« emprisonner les personnes mauvaises pour les rendre meilleures à l’issue de leur peine ») a fait faillite, alors il est tentant d’accueillir à bras ouverts toute politique sécuritaire visant à faire de la prison l’exception et non la règle. « Tout, sauf la prison ! », en somme.

Mais on peut légitimement craindre que certains saisissent cette nouvelle opportunité pour punir davantage et plus sévèrement encore les délinquants qu’ils jugeront. Le rêve de Jeremy Bentham et de son dispositif panoptique pourrait se réaliser hors les murs. En 1791, ce philosophe libéral, effrayé par l'état effroyable des prisons de sa très gracieuse Majecté, se proposait de construire une prison-modèle où l'on peut « se rendre maître de tout ce qui peut arriver », une sorte de « ruche dont chaque cellule est visible d'un point central. L'inspecteur invisible lui-même règne comme un esprit ; mais cet esprit peut au besoin donner immédiatement la preuve d'une présence réelle. » (Jeremy Bentham, Panoptique, Ed. Mille et une nuits, 2002). Mais relativisons quelque peu nos propos : comme l'écrit Alain Brossat, « Quoi que l'on puisse dire à propos de l'extension du panoptique dans les espaces ouverts (...), il demeure absurde de prétendre que serait aboli le seuil terrible qui sépare le monde ordinaire de celui de la prison (...) la société quadrillée, vidéo-surveillée, patrouillée, auscultée, écoutée, n'en demeure pas moins tout autre chose qu'une « vaste prison ». les détenus et anciens détenus savent, eux, à quoi s'en tenir. » (Alain Brossat, Pour en finir avec la prison, Ed. La Fabrique, 2001).

Il y a une peine alternative à la prison à laquelle je serai prêt à souscrire. Elle nous vient de Turquie, pays qui ne brille généralement pas par son respect des droits de l’homme et du citoyen. Et je doute que la Turquie offre à ses détenus des établissements pénitentiaires plus rutilants que les nôtres. Dans ce pays, pour un certain type de délits, on peut être condamné à… lire un livre ! En 2006, M. Yigit est condamné à quinze jours de prison pour ébriété et tapage. Sa peine a été alors commué en obligation de lire, sous surveillance policière, pendant une heure et demie.

A Diyarbakir, un prénommé Hayrettin se dispute avec sa femme qui refuse qu’il prenne une deuxième épouse. Il la frappe. Le juge l’a alors condamné à lui offrir des fleurs une fois par semaine pendant cinq mois et à lire un livre par mois portant sur les rapports familiaux et l’éducation des enfants. Un Anatolien, lui aussi jugé pour violences conjugales, a été condamné à lire chaque mois et pendant cinq ans un classique de la littérature mondiale. Certains condamnés n’apprécient guère d’être obligés de bouquiner sous contrôle judiciaire. Ils ne considèrent pas comme honorables de s’adonner à la lecture ou même d’offrir des fleurs en réparation de leur faute. Il en va de leur honneur ! Mais d'autres ont pris goût à ce loisir pacifique qui leur ouvre des horizons insoupçonnés.

Et dans le monde tel qu'il est et tel qu'il va, il ne peut être que bénéfique d'élargir son horizon et d'imaginer des possibles, non ?