Jean-Marie Pernot rappelle justement que ce serait faire un contresens de penser la CES comme une confédération, et il souligne que « les organisations syndicales internationales en général et la CES en particulier sont de pures constructions d'en haut sans ce mouvement « d'en bas », sans agrégation des identités professionnelles et sociales ». La CES est donc une institution bureaucratique créée par les états-major syndicaux nationaux, mais une institution sans grand moyen ni grande légitimité. Comme le souligne Loïc Moissonnier, « ce modèle de syndicalisme construit « par le haut », par addition de légitimités syndicales nationales, n'est pas propice à l'identification des militants syndicaux de base aux activités de la CES ». Fortement marquée par les héritages social-démocrate et social-chrétien et leur culture du compromis, la CES s'est davantage efforcée de faire passer aux yeux des travailleurs la pilule libérale que de chercher à former un front syndical du refus ; un front de toutes les façons fort difficile à construire, compte-tenu de la grande diversité des cultures syndicales que l'on retrouve en Europe, du poids du syndicalisme allemand dans la CES même, mais également de l'histoire et de l'évolution des rapports entre le Capital, le Travail et l'Etat dans chacune des nations européennes. Ces différentes cultures sont bien mises en exergue par Nadia Hilal dans sa contribution relative à la libéralisation du rail où se sont opposés « un modèle consensuel en Allemagne, en Europe du nord et en Espagne et un modèle conflictuel dans le sud de l'Europe et en Belgique. » De même, Anne Dufresne nous rappelle l'incapacité des bureaucraties syndicales à s'entendre sur ce que pourrait être un « salaire minimum » à l'échelle de l'Union européenne. En refermant ce numéro très instructif de Politique européenne, on est en droit de se poser une question : à quoi sert réellement la CES ? A accompagner le démantèlement méthodique des modèles sociaux nationaux ? A nous faire « éviter le pire » (ce « pire » que nous décrit Noëlle Burgi, ce « minimalisme social » qui produit de l'exclusion de masse) ?

Pour Jean-Marie Pernot, « la politisation est la seule voie de sortie de crise du syndicalisme européen, elle ne signifie pas centralisation derrière un dogme mais effort de cohérence et perspectives offensives cessant d'être à la traîne de la régulation libérale du marché unique. » Mais quand on constate l'incapacité de la CES à nouer des relations solides avec le mouvement altermondialiste, y compris sa frange la moins radicale, on ne peut guère espérer voir la CES abandonner son strapontin institutionnel bruxellois et devenir un acteur de la contestation sociale. Cette politisation ne peut engendrer, à mon avis, que sa mort, c'est-à-dire son implosion. A moins que l'aile gauche des bureaucraties syndicales nationales ne se satisfasse d'une CES inconsistante...

Cette note a été publiée dans le n° de décembre 2009 de la revue Emancipation