Il y eut d'abord l'élection présidentielle iranienne et la victoire contestée d'Ahmadinejad. Ahmadinejad incarnait le Mal ; Mir Hossein Moussavi, ancien Premier ministre de 1981 à 1989, le Bien. Les médias se sont donc déchaînés sur le premier, l'accablant de tous les maux (et il est vrai que la teneur anti-impérialiste grossière des discours de ce dernier, son antisémitisme se prêtent sans souci à ce type d'exercice). Mais comme Moussavi est un membre du sérail islamiste et, à ce titre, ne peut guère représenter pour l'Occident l'Idéal démocratique, nos medias donnèrent la parole à la jeunesse de Téhéran, avide de liberté. Et c'est bien le problème. Téhéran n'est pas l'Iran et la jeunesse éduquée, qui va à l'Université et est issue en grande partie des classes moyennes et supérieures, n'est pas le peuple. Y a-t-il eu des fraudes ? Probablement. Mais ces fraudes étaient-elles de nature à empêcher Ahmaninejad de conserver le pouvoir ? Rien n'est moins sûr. L'élection iranienne n'a pas opposée des conservateurs autoritaires à des démocrates, mais deux fractions de l'élite islamiste en guerre pour le contrôle de la machine étatique.

En Afghanistan, c'est Hamid Karzaï qui l'a emporté devant Abdullah Abdullah. Nicolas Sarkozy s'est empressé de déclarer que la campagne s'était « bien déroulée, en dépit des pires menaces », ajoutant qu'en « votant, les Afghans ont dit non à la barbarie et au terrorisme. » On pourrait lui rétorquer qu'en votant, les Afghans ont plutôt dit oui à une mascarade, car beaucoup d'observateurs s'accordent à dire que le bourrage des urnes fut de mise dans nombre d'endroits où l'Etat central est un fantôme.

L'Afghanistan est en guerre et des régions entières sont sous le contrôle des Talibans ; celles qui ne le sont pas doivent subir les politico-mafieux qui règnent en maître avec le soutien d'un pouvoir central bien démuni. Le gouvernement américain n'aime pas Karzaï car ce dernier a échoué. Washington pensait qu'en mettant au pouvoir un Pachtoune, cela rassurerait la communauté majoritaire du pays et cela légitimerait la présence occidentale dans le pays. Des années plus tard, on s'aperçoit que les tribus pachtounes sont de nouveau attirées par le mouvement taliban qui, dans les zones qu'il contrôle, a ramené l'ordre ; d'autant qu'à chaque bavure de l'armée d'occupation (et Dieu sait qu'elles sont nombreuses !), ce sont autant d'Afghans de perdu pour la « cause de la démocratie ». Washington a donc décidé de miser sur Abdullah Abdullah, un tadjike, proche de feu commandant Massoud, qui, a priori, ne devrait guère être porté au compromis avec les Talibans. Mais Karzaï, lui, tient bon : il a ses réseaux et il a la conviction qu'il est encore possible de négocier avec les Talibans, avant que ceux-ci ne soient solidement implantés au-delà de leur base pachtoune. A l'occasion de ces élections présidentielles, c'est à l'émancipation d'une « marionnette » que l'on a assistée.

Au Gabon, nous fûmes dans la caricature la plus absolue. Trois « véritables » candidats en lice : Ali Bongo, le fils de son père ; Pierre Mamboundou, l'inoxydable opposant ; André Mba Obame, ex-opposant rallié dans les années 1980 au pouvoir, plusieurs fois ministre sous Omar Bongo, revenu en dissidence à l'occasion de ce scrutin. Dès l'annonce des résultats, le vainqueur a promis l'unité, le respect et la concorde nationale ; les vaincus ont quant à eux fustigé le bourrage des urnes, les manipulations diverses et variées. Si l'on écarte Mamboundou, l'opposant historique, irréductible... et voué à le rester, cette élection a opposé deux membres du sérail qui attendaient qu'Omar Bongo, pilier de la Françafrique, décède pour enfin s'emparer de la machine étatique. La démocratie ? Ils s'en fichent. Ce qui compte pour eux, c'est le pouvoir politique parce que c'est en contrôlant celui-ci que l'on a accès au pouvoir économique. Cruelle ironie : le parti de la mafia Bongo s'appelle le Parti démocratique gabonais (PDG). Oui, le Gabon est dirigée comme une entreprise : avec un autocrate comme patron, des collaborateurs qui se complaisent dans l'obséquiosité, et un peuple travailleur qui attend le prochain plan social.

Vous m'en auriez voulu de ne pas évoquer, j'imagine, le scrutin irlandais. Là encore, on mesure à quel point une élection peut être un simulacre. Comme les citoyens français et hollandais avant eux, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les citoyens irlandais avaient repoussé le traité constitutionnel dit de Lisbonne, en juin 2008. Après des mois de tractations en tout genre, ils ont été appelés de nouveau aux urnes dernièrement et, cette fois-ci, le Oui l'a emporté. L'Europe libérale, pardon, l'Europe de la Paix est sauvée ! Les femmes sont rassurées : elles devront toujours s'exiler pour subir une interruption volontaire de grossesse ; les travailleurs sont rassurés : leurs entreprises bénéficieront toujours du dumping fiscal qui fait de l'Irlande un Eldorado pour les experts en manipulation financière. Il ne reste plus que la Tchécoslovaquie, la Pologne et enfin l'Allemagne pour que le Traité de Lisbonne soit définitivement adopté et se retrouve en bonne place sur toutes les tables de nuit des honnêtes citoyens européens.

La démocratie comme l'égalité des citoyens est une fiction qui nous fait perdre de vue l'essentiel. Et Jules Chazoff, prolétaire de métier et anarchiste de coeur, avait bien raison d'écrire : « L'homme veut être libre et la démocratie, si elle ne lui donne pas la liberté, lui offre tout au moins l'illusoire et l'éphémère satisfaction de se croire libre politiquement, alors qu'il est enchaîné dans les lois économiques dont il forge lui-même les mailles. »