Maurice Rajsfus, L’an prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne 1930-1945, Editions du Détour, 2022, 438 p.

Sa vie durant, Maurice Rajsfus (1928-2020) s’est insurgé. Issu d’une famille juive polonaise immigrée en France dans les années 1920, ce rescapé de la rafle du Vel’ d’hiv’ a connu mille métiers et soutenu mille causes. La retraite venue, il fut un historien-militant à la plume acérée, pourfendeur de tous les autoritarismes. On lui doit plusieurs dizaines d’ouvrages, dont L’an prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne 1930-1945, réédité récemment par les éditions du Détour.

Rajsfus2-ConvertImage.jpg

Dans ce livre publié initialement en 1985, l’auteur nous plonge dans le Paris de l’immigration juive polonaise, et nous met au contact « d’une communauté d’exilés politiques qui se déchirent sur les enjeux du moment ». Les sionistes n’ont d’yeux que pour la Palestine, les bundistes1 rêvent d’une Pologne socialiste, les communistes considèrent que le paradis niche à Moscou. Les relations sont exécrables mais dépendent beaucoup de ce qui se décide lors des congrès de la Troisième Internationale. Hier, le réformiste était un « social-fasciste », aujourd’hui, il est un camarade avec lequel il faut s’unir2. Les procès de Moscou et les purges aux relents antisémites, le pacte germano-soviétique et le dépeçage conjoint de la Pologne par Hitler et Staline... tout cela, au mieux, interrogent les militants. Mais comme le parti, guidé par Staline, ne saurait se tromper, ces communistes polonais exilés resteront des militants disciplinés… et ce, jusqu’à leur mort.
La mise au ban du PC en 1939 pousse les militants, dont certains ont fait partie des brigades internationales en Espagne, à s’organiser dans la clandestinité. Au sein des FTP-MOI3, sous l’autorité du parti, ils tentent d’entraver la collaboration économique là où les juifs, patrons comme ouvriers, sont omniprésents. Cela passe essentiellement par l’incendie d’ateliers de confection ou le sabotage des marchandises. Mais ce sont bien évidemment les actions armées du groupe dit Manouchian qui sont passées à la postérité. Maurice Rasjfus l’affirme, sur la base de nombreux témoignages : ce groupe a été lâché par un PC en pleine « croisade ultranationaliste » qui envoyait ces hommes au casse-pipe tout en se méfiant d’eux car trop indisciplinés4… et pas assez Français. Il va plus loin : « les militants immigrés représentaient (pour le PC) une piétaille dont on avait le plus grand besoin mais que l’on s’apprêtait à rejeter dans l’ombre dès qu’il ne serait plus nécessaire de faire appel à leur détermination sans faille ». Il considère qu’après-guerre, le PCF, dans sa volonté de concilier drapeau rouge et drapeau tricolore, a volontairement minoré leur contribution à la Résistance, et que l’antisémitisme n’était pas étranger à cette politique. Mais ce qui désolait encore plus Maurice Rajsfus, c’était le refus de cette génération militante de poser un regard critique sur un parti devenu une « formation nationaliste et chauvine », et d’admettre « que le sens de leur combat (avait) été bafoué ».

1 Sur l’histoire du Bund, lire : Henri Minczeles, Histoire générale du Bund - Un mouvement révolutionnaire juif, Austral, 1995, 526 p.
2 Le septième congrès du Komintern (1935) signe l’abandon de la stratégie « classe contre classe » adoptée par le précédent (1928).
3 Les Francs-tireurs et partisans - main-d'œuvre immigrée sont créés en 1942.
4 Le fait que certains d’entre eux aient participé à la guerre d’Espagne ne plaidaient pas en leur faveur.