Adam Baczko, La guerre par le droit. Les tribunaux taliban en Afghanistan, CNRS Editions, 2021.

Le livre qu’Adam Baczko consacre aux tribunaux Taliban dans cet Afghanistan en guerre depuis quarante ans est plus que riche d’enseignements, quand bien même la situation d’aujourd’hui est fondamentalement différente de celle qu’il a connue quand il a mené son enquête : entre 2010 et 2013, le pays était sous occupation américaine et le pouvoir central entre les mains du très controversé Hamid Karzai.

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Inutile d’être juriste ou spécialiste d’Asie centrale pour trouver de l’intérêt à cette lecture qui répond d’une certaine façon à une question que beaucoup se posent : comment diable des Afghans peuvent-ils soutenir ou supporter ces fous de Dieu obscurantistes et barbares ?
Dans un pays ravagé par des décennies d’affrontements, sur un territoire où règnent des seigneurs de guerre mettant en coupe réglée les zones qu’ils contrôlent, où les élites sont autant militaires qu’économiques, où la corruption est omniprésente à tous les niveaux, savoir qu’en cas de problème des juges seront là pour rendre justice avec intégrité revêt une importance considérable… quand bien même, du fait de la guerre civile, la validité des actes juridiques dépend des rapports de force militaires. Comme le répètent des Afghans rencontrés par Adam Baczko, les juges Taliban, détenteurs d’une double légitimité (juridique et religieuse) jugent bien et mieux que les autres, ils ne sont pas corrompus comme les juges dépendant du pouvoir central à qui il suffit de graisser la patte pour gagner son procès, et ils l’affirment d’autant plus aisément qu’ils ne les soutiennent pas politiquement.

Les Taliban ont compris l’importance du droit pour se rendre légitimes notamment aux yeux d’une population essentiellement rurale et conservatrice, épuisée par tant de misère, de violence et d’injustice : une population peu argentée qui veut des réponses rapides à ses problèmes, qu’ils concernent les mœurs, la transmission des héritages, les conflits fonciers ou de voisinage, les querelles commerciales ; une population qui apprécie que les juges ne soient pas du cru (gage d’impartialité) et qu’ils soient régulièrement contrôlés par le mouvement lui-même, toujours inquiet à l’idée que des juges ou des commandants militaires se constituent des fiefs et s’autonomisent.
Pour nombre d’Afghans, la justice n’est pas qu’une affaire de procédures. Un jugement sera respecté à partir du moment où les deux parties auront la certitude que le juge a été impartial, neutre, sans préjugé ethnique et que son verdict sera suivi d’effet. Comme l’écrit l’auteur, la force du droit repose sur sa « capacité à faire reconnaître socialement les décisions des juges comme des actes juridiques – et non politiques – alors même qu’elles ont une dimension très politique ». Car les Taliban, à travers le droit, ne cherche qu’une chose : moraliser la société.

Avec la justice Taliban, qui a pour unique boussole la charia mais qui n’est pas hermétique aux us et coutumes locaux et aux accommodements, un problème se règle ainsi en une poignée de jours la plupart du temps. Mais les juges en conviennent : la loi du Talion facilite les choses ! Juger un meurtre est en effet moins chronophage qu’un litige foncier opposant deux communautés. Nonobstant, la justice expéditive répond aux préoccupations d’une population lassée des passe-droits et des incertitudes, et le système de justice mis en place par Mollah Omar et consorts « s’est imposé comme une des rares sources de prévisibilité dans le quotidien des Afghans ».