Raphaël Picon, Emerson. Le sublime ordinaire, CNRS Editions, 2023

Je ne connaissais de Ralph Waldo Emerson que son amitié avec Henry David Thoreau et leur goût commun pour la nature. Avec Emerson. Le sublime ordinaire1, le philosophe et théologien protestant Raphaël Picon nous en dit plus sur ce penseur tourmenté qui a traversé le 19e siècle.
Qui était Ralph Waldo Emerson ? Un fils de pasteur, né en 1803, qui tînt un journal intime des décennies durant, écrivit livre et poèmes, et délivra moult sermons et conférences. Un des grands penseurs américains du 19e siècle qui se battait pour que l’Amérique redevienne « la terre promise ». Un être tourmenté, mélancolique, qui s’émancipa du calvinisme puritain pour se faire le « pourfendeur des conformismes ».

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Emerson a foi en l’homme. Alors que pour le calvinisme puritain, l’homme est un être dépravé, corrompu, destiné aux flammes de l’Enfer, des voix s’élèvent pour affirmer au contraire que l’homme est perfectible. Emerson est du lot. Il écrit « Un homme a tout ce qui lui faut pour se gouverner lui-même », et il ajoute : « Le but de la vie semble être la rencontre de l’homme avec lui-même ». A l’obéissance d’une loi divine doit succéder « la culture du soi à travers le développement de son propre sens moral ». Emerson le transcendantaliste enjoint ses contemporains à penser et agir en êtres vertueux, à avoir confiance dans leurs émotions : « Ne va pas où le chemin te conduit. Va au contraire là où aucun chemin ne mène ».

Idéaliste et romantique, Emerson voue un culte à la nature. Traversant l’Europe, il est subjugué par « la prodigalité des formes de vie possibles ». De retour aux Etats-Unis, il aime marcher seul dans les bois de sa propriété de Concord : « Mes bois sont le seul endroit où je ressens de la joie, écrit-il. Mon esprit s’élève dès que j’y entre ». Emerson est un solitaire. Mais un solitaire qui n’a jamais cessé d’intervenir publiquement. Le prếcheur d’hier est devenu « une des grandes voix de la cause abolitionniste ». Cependant, Emerson a un « certain dédain pour la chose publique et l’agitation militante », une agitation qui peut faire perdre cette « maîtrise de soi » à laquelle il tient tant. Dès les années 1830, il s’est fait l’avocat des Indiens et des esclaves. Une loi l’a particulièrement révulsé : la Fugitive slave law oblige les citoyens à capturer les esclaves fugitifs et à les restituer à leurs propriétaires. Pour Emerson, l’esclavage, c’est l’anti-Amérique. En prenant position lors de la guerre de Sécession pour les Nordistes, Emerson ne se bat pas seulement pour mettre fin à l’esclavage : il espère que de cette guerre civile naîtra une nouvelle Amérique ou plutôt que celle-ci redeviendra une terre de liberté.

La pensée d’Emerson, nous dit l’auteur, « déroute, agace, titille ». Vénéré par certains comme chantre d’une Amérique mythifiée, moqué par d’autres pour son mysticisme et ses pensées absconses, Emerson ne laisse personne indifférent. Et comme le dit Raphaël Picon, « c’est aussi parce qu’on ne le comprend pas entièrement qu’Emerson fascine tant ».

Note
1 Ouvrage initialement paru en 2015, un an avant la disparition de l’auteur.