Stéphanie Soubrier, Races guerrières. Enquête sur une catégorie impériale 1850-1918, CNRS Editions, 2023.

Il en va des soldats comme des chasseurs : il y a les bons et il y a les mauvais. Mais dans la France impériale de la 3e République, ce n’est pas l’individu que l’on juge ainsi mais l’ethnie. Avec Races guerrières. Enquêtes sur une catégorie impériale 1850-1918, l’historienne Stéphanie Soubrier nous plonge au coeur des stéréotypes coloniaux ; des stéréotypes, précisons-le d’emblée, qui ne sont pas une création française, et qui ne visent pas uniquement les peuples coloniaux (l’armée se méfiant tout autant des Méridionaux que des Bretons rustres et alcooliques).

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Qu’est-ce qu’une « race guerrière » ? Certains répondraient les Sénégalais puisqu’on en fît des tirailleurs ; sauf que la plupart d’entre eux ne l’étaient pas, et qu’il convient de prendre toujours en considération « le caractère instable des dénominations raciales ».
Lorsqu’en 1910 l’officier Charles Mangin écrit La Force noire, vibrant plaidoyer pour l’utilisation de troupes africaines sur le sol européen en cas de revanche contre l’Allemagne, cela fait plus d’un demi-siècle que militaires, médecins, fonctionnaires, anthropologues catégorisent les populations peuplant l’Empire. Il y aurait donc des peuples guerriers et des peuples non-guerriers. Le courage, la bravoure, l’endurance, l’esprit de discipline et de sacrifice, qualités indispensables pour faire un bon fantassin, deviennent alors des « attributs biologiques collectifs », tout comme la fourberie, l’arrogance ou la nonchalance. Il va sans dire qu’un sol trop fertile, qu’une nature trop généreuse, qu’un goût pour le commerce n’aident pas à forger des tempéraments portés à l’effort et au combat.

Une « race guerrière » n’a pas peur de la mort. De plus, souligne Mangin, reprenant l’avis de nombre de médecins, « le système nerveux du Noir est beaucoup moins développé que celui du Blanc » ; le Noir est moins sensible à la douleur parce qu’il n’est pas arrivé au même niveau de développement intellectuel. Le Noir guerrier est donc un sauvage qui a conservé ce que la race française a perdu, depuis que le coq est devenu un « chapon endormi », que l’égalitarisme républicain a fait du citoyen un raisonneur indocile et que la civilisation l’a ramolli. Si la France veut rester une grande Nation et non plus dégénérer, elle doit encadrer et discipliner la « sauvagerie » du guerrier noir qui, livré à lui-même, n’utiliserait qu’à demi ses qualités naturelles. C’est sous la férule paternelle du colonisateur que le Noir sous l’uniforme pourra se réaliser.
Rien de scientifique dans ces analyses souvent contradictoires qui n’ont qu’un but : orienter le recrutement. Car, pendant longtemps, l’armée française a recruté qui voulait bien la rejoindre, principalement des esclaves rachetés à leurs maîtres. Et sous la Troisième République, c’est bien davantage la prime d’engagement, l’assurance de manger à sa faim chaque jour et de nourrir sa famille, ainsi que le prestige de l’uniforme qui attira le jeune Africain plutôt qu’un quelconque atavisme pour le métier des armes. Ce n’est que dans un second temps que des sous-officiers africains se saisiront à leur avantage des discours faisant de leur groupe ethnique une société guerrière…

De races guerrières, on ne parlera plus après 1918, car, écrit Stéphanie Soubrier, « la Grande Guerre a révélé l’inadéquation de la catégorie coloniale de race guerrière aux nouvelles formes du combat ». Les armes de destruction massive ont rendu accessoires la baïonnette et le corps-à-corps, prépondérants lors des guerres coloniales….