Robert Hirsch, Henri Le Dem, François Préneau, Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste. De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945), Syllepse, 2023.

Leurs noms ne vous diront rien. Certains ont échappé ou sont revenus de l’enfer, d’autres pas. Robert Hirsch, François Préneau et Henri Le Dem leur rendent hommage dans un passionnant ouvrage intitulé Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste. De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945) publié par les éditions Syllepse.

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Jeunes mais déjà aguerris, solidaires, audacieux, issus des milieux communistes, socialistes révolutionnaires ou des auberges de jeunesse, une poignée de prolétaires de la région nantaise se lance sans peur du lendemain dans la Résistance, mais une Résistance particulière. Contre l’Union sacrée, ils en appellent au défaitisme révolutionnaire. Considérant que la lutte armée est contre-productive puisque la répression qu’elle entraîne décime l’avant-garde ouvrière, désarmant de fait le prolétariat, ceux que les staliniens appellent les « hitléro-trotskistes », en viennent à écrire qu’en « déboulonnant les rails et en posant des bombes, on prépare la défaite de la classe ouvrière ».

Délaissant la lutte armée, ces jeunes partisans de la Quatrième Internationale se lancent en 1943 dans la confection et la distribution au sein des principales usines nantaises d’un bulletin clandestin : Front ouvrier. Un bulletin dont on ne connaissait que quelques numéros et dont les auteurs ont retrouvé une collection quasi-complète en se plongeant dans les archives policières.
Tiré à quelques centaines d’exemplaires, ce bulletin affirme que le second conflit mondial n’est que la répétition du premier (autrement dit un conflit entre puissances impérialistes1), et qu’il faut se ternir prêt et préparer la révolution mondiale qui, à n’en pas douter, éclatera à la fin des hostilités ; d’où la nécessité d’entrer en relations avec les soldats de la Wehrmacht pour créer en son sein des foyers antinazis qui en renversant Hitler rendront « possibles les Etats-Unis socialistes du monde qui tueront la misère et la guerre ». Ce travail de fraternisation sera mené, avec l’appui de quelques Nantais, à Brest pendant quelques mois de l’année 1943, mais trahi par un soldat allemand, le groupe finistérien sera décimé par la répression, tout comme les noyaux trotskistes parisiens. A Nantes en revanche, la plupart des militants échapperont par miracle à la Gestapo et continueront à faire vivre Front ouvrier jusqu’à la Libération. Mais ce bulletin clandestin ne se contentent pas de populariser les thèses trotskistes dans la classe ouvrière, il est aussi un outil pour mieux appréhender grâce à ces échos d’entreprises ce que fut le quotidien des travailleurs manuels sous la botte nazie. Etait-il lu largement dans les usines où il était diffusé ? Impossible de le savoir, mais selon certains témoins, son contenu a eu une influence non négligeable sur les pratiques et attitudes de certains collabos. Car les rédacteurs n’hésitent pas : outre les appels à la solidarité de classe contre les brimades et le STO, ils dénoncent nommément les petits chefs zélés qui font turbiner les prolos pour le compte de l’Allemagne nazie, ou ceux qui s’adonnent au marché noir en détournant les denrées alimentaires destinées aux restaurants d’entreprise.

En décembre 1944, Front ouvrier cesse de paraître, et ses animateurs participent à la création du Parti communiste internationaliste. Débute alors pour eux un nouveau combat : comment exister politiquement dans un univers dominé à gauche par le Parti des fusillés : le PCF ?

Note
1. Le racisme et la haine antisémite, qui sont pourtant au coeur de la pensée nazie, ne tiennent aucune place dans leurs analyses. Pour l’anecdote, ils installeront leur première imprimerie clandestine au sous-sol d’un magasin de fringues tenu par les parents d’un de leurs militants, des Juifs lituaniens réfugiés en France.