Louis Mercier Vega, Autopsie de Peron. Un bilan du péronisme : Argentine 1930-1974, L’Atinoir, 2021.


L’homme est mort depuis un demi-siècle mais son fantôme continue de hanter le monde politique argentin. D’où l’utilité de cette réédition du livre de Louis Mercier Vega, Autopsie de Peron. Un bilan du péronisme (Argentine 1930-1974) publié par les éditions L’Atinoir.

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Louis Mercier-Vega était un anarchiste critique qui se gaussait autant du marxisme fossilisé que de l’anarchisme vaseux et de l’idolâtrie des principes. Afin d’échapper à la police, cet ancien de la colonne Durruti décide, en 1940, de gagner l’Amérique latine où il ne reste que deux années puisqu’il rejoint vite les Forces françaises libres et participe à la lutte anti-nazie. Est-ce ce séjour qui le pousse à s’intéresser au sous-continent américain ? Sans doute puisqu’il lui consacrera plusieurs ouvrages1 dont cette plongée dans l’histoire du péronisme.
Issu de la petite-bourgeoisie argentine, Juan Domingo Peron a mené une carrière militaire assez classique, dans un pays où, au sein de l’armée, les hauts gradés n’ont pas abandonné l’idée de jouer un rôle politique de premier plan, au service de la grande bourgeoisie terrienne, de l’église, de l’ordre et de la discipline : fascisme et nazisme plaisent à beaucoup, et Peron est du lot. Si lors du premier conflit mondial, l’Argentine fut neutre, lors du second, sous la pression américaine, le gouvernement finit par rompre ses relations avec les puissances de l’Axe mais sans pour autant leur déclarer la guerre. Les militaires comme Peron avalèrent la pilule...

C’est durant les années 1930 et 1940 que Peron, à qui l’on prête un certain « génie oratoire », s’imagine un destin d’exception. Dans une Argentine marquée par la violence sociale, l’ambitieux officier a conscience que l’ordre social est condamnée si les dominants sont incapables de construire des alliances avec les classes populaires. Lorsqu’il parvient au pouvoir en 1946, il met en place ce qu’il appelle le justicialisme, doctrine reposant sur une alliance entre trois fractions venant de l’armée, du syndicalisme ouvrier2 et du patronat convaincues de la nécessité pour le pays de se doter d’un Etat fort, interventionniste, développementaliste3, nationaliste et autoritaire ; autoritaire et non totalitaire puisque Peron ne remit pas en cause le pluralisme politique. Pour Peron, à l’instar du chancelier Bismark en son temps, satisfaire certaines revendications des ouvriers et des pauvres est la seule façon de couper l’herbe sous le pied des syndicalistes marxistes ou libertaires, de faire comprendre au peuple que la modération et la confiance dans la figure du chef bienveillant sont ses seules voies possibles d’émancipation.

Pour l’auteur, qui rappelons-le écrit ce livre en 1974, le péronisme n’est cependant pas un populisme. En réalité, Mercier-Vega, qui trouve la définition du populisme imprécise, s’intéresse davantage à ses singularités et à son histoire atypique puisque chassé du pouvoir en 1955, exilé chez Franco, Juan Peron y revient en 1973, dans un climat de guerre civile, où les forces se réclamant de lui, à droite comme à gauche, se déchirent violemment… et continuent à le faire encore aujourd’hui. Mercier-Vega se refuse donc à faire entrer ce péronisme insaisissable dans une case particulière et il se retrouverait sans doute dans ces mots du sociologue Guy Hermet : « Le populisme se comprend sans doute mieux dans la lumière brouillonne des formes accumulées qu’il a revêtues dans le temps et dans l’espace que par une synthèse intellectuelle forcément simplificatrice. Incohérent dans sa réalité, il résiste à l’abstraction cohérente. »4

Notes
1. Technique du contre-Etat. Les guérillas en Amérique du sud (Belfond, 1968) ; Mécanismes du pouvoir en Amérique latine (Editions universitaires, 1967) ; et à titre posthume La Révolution par l'État : une nouvelle classe dirigeante en Amérique latine (Payot, 1978).
2. Ministre depuis le coup d’État de 1943, chargé notamment du travail, Peron a fait passer quelques lois sociales qui lui permirent d’obtenir le soutien des classes populaires et de la puissante CGT.
3. D’où le soutien que lui apporte le patronat moderniste qui a besoin pour son business d’un Etat-entrepreneur.
4. Guy Hermet, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique (19e – 20’ siècle), Fayard, 2001. Pour Guy Hermet, le péronisme est un populisme, tout comme le pense Guillaume de Gracia, le post-facier du présent ouvrage, auteur de Peron contre le populaire. Naissance d’un populisme, Editions sans nom, 2020.