Philippe Artières, La mine en procès. Fouquières-lès-Lens 1970, Anamosa, 2023.


Le 4 février 1970, au petit matin, un coup de grisou secoue la fosse n°6 de la mine de Fouquières-lès-Lens. Seize mineurs sont tués par l’explosion, quinze autres sont grièvement blessés. Ils ne sont ni les premiers ni malheureusement les derniers à perdre la vie dans de telles circonstances. Ce sont les risques du métier, disent certains, fatalistes, tout comme l’est la silicose qui emporte les mineurs à raison de quelques centaines par an. Mais la fatalité a bon dos. C’est ce que ressort du livre de l’historien Philippe Artières dans La mine en procès. Fouqières-lès-Lens 1970, livre publié, et très joliment, par les éditions Anamosa, livre qui est tout autant un récit historique qu’un imposant dossier documentaire passionnant à lire.

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Nous sommes en 1970, soit deux ans après un autre coup de grisou, révolutionnaire celui-là, qui a vu de larges pans de la population, et particulièrement la jeunesse, ébranler le pouvoir gaulliste et contester l’Ordre social. Pour les militants maoïstes, cette énième catastrophe doit permettre au peuple mineur de faire le procès de ses exploiteurs. Elle est aussi pour eux le moyen de s’implanter dans un territoire dominé par les forces de gauche traditionnelles et l’omnipotente CGT. Et puis, le mineur n’incarne-t-il pas cet ouvrier dur au mal et solidaire, trop souvent accablé de misère et de désespérance1 mais aussi, icône de la résistance à l’oppression ?

Il revient donc au peuple des gueules noires de faire le procès des assassins car il n’y a rien à attendre de la justice, l’officielle (bourgeoise et de classe)2. Assassins, le mot est fort, d’autant plus qu’un second rapport diligenté par l’entreprise a établi que le coup de grisou meurtrier était dû à une erreur humaine alors qu’un premier rapport était accablant pour elle. Lors du procès populaire, des ingénieurs des Mines en rupture de ban pointe du doigt le coupable : l’âpreté au gain. Pour ces jeunes hommes qui refusent de rejoindre la « cohorte des technocrates, chiens de garde du capital », la direction a mis en danger la vie des mineurs en les envoyant sciemment dans une zone grisouteuse et non ventilée. Pour Jean-Paul Sartre, le philosophe intronisé avocat général, l’Etat-patron est donc coupable, et tout au long de ce procès singulier, les témoignages soulignent à quel point la direction des Charbonnages est indifférente aux conditions de travail et à la santé des mineurs. Rien a changé depuis la terrible tragédie de Courrières en 19063 : la productivité est plus importante que la vie humaine.

Cet « événement oublié », nous disent Philippe Artières et la postfacière Michèle Zancarini-Fournel, est d’une « extraordinaire modernité » parce que la mobilisation qu’il a engendrée a dessiné « des perspectives nouvelles de luttes ». En attestent, outre l’engagement des jeunes ingénieurs, véritables lanceurs d’alerte4, l’intervention d’artistes mettant leur sensibilité au service des gueules noires et de leurs familles, ou encore l’implication des intellectuels dans une structure nouvelle mais chargé de références historiques, le Secours rouge, qui se met au service du peuple contre l’autoritarisme du pouvoir et son choix du tout répressif pour en finir avec le « gauchisme »

1 Emile Morel, Les gueules noires, Editions A propos, 1907 réédition 2021.
2 Dans l’Ouest, les paysans-travailleurs vont recourir également aux procès publics dans leur lutte contre l’agro-business.
3 Le dessinateur Jean-Luc Loyer a tiré de cette tragédie (plus de 1000 morts !) une bande dessinée : Sang Noir. La catastrophe de Courrières (Futuropolis, 2013).
4 Un lien peut être fait avec les jeunes diplômés d’aujourd’hui qui appellent les étudiants à « bifurquer ».