Marcello Musto, Pour lire la Première Internationale, Editions sociales, 2022.

Paraphrasons un vieux barbu de 1847 : un spectre hante l’Europe, le spectre de la Première Internationale ; et remercions les éditions sociales de nous permettre aujourd’hui de découvrir le travail du sociologue italien Marcello Musto.

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Son livre, publié initialement en 2014, intitulé Pour lire la Première Internationale a pour but de « montrer à une génération nouvelle et inexpérimentée, sous la forme claire et accessible d’une anthologie, les premiers pas du long chemin emprunté par ceux qui ont voulu partir à l’assaut du ciel  » ; mais aussi de « donner à voir la forme économique et politique de la société future que les membres de l’Internationale cherchaient à établir. » En une douzaine de chapitres consacrés aussi bien à la place de la grève dans le combat émancipateur qu’à la question de l’éducation, du rapport à la chose politique ou au pacifisme, Marcello Musto redonne vie aux pensées plurielles qui irriguèrent cette Internationale qui proclamait fièrement que l’émancipation des travailleurs serait l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. Ce faisant, il a exhumé les écrits d’une trentaine de militants, ouvriers ou intellectuels, certains tombés dans l’oubli comme Emile Aubry ou Victoire Tinayre et d’autres panthéonisés comme Karl Marx qui doit signer près de la moitié des textes ici rassemblés. Musto fait précéder cet ensemble de textes d’une longue et indispensable préface qui retrace l’histoire tumultueuse de cette Internationale, première du nom, née à Londres en septembre 1864, à l’initiative des syndicalistes anglais. Là, dans la capitale de la plus grande puissance du monde, se rassemblèrent deux mille personnes, syndicalistes, mutuellistes, communistes, démocrates, et parmi eux le « noir gaillard de Trêves » qui, avec Engels, allait tenter de transformer ce rassemblement hétéroclite en force capable de renverser le vieux monde, et ce, au prix de rudes controverses dont la dernière, fatale, l’opposa à un Russe volcanique du nom de Bakounine.

A travers les textes sélectionnés par Marcello Musto, textes qu’ils qualifient d’officiels quand bien même ils ne sont souvent que des contributions au débat, on mesure toute la diversité des approches des questions économiques et sociales. Sur la question de l’émancipation féminine par exemple, le courant majoritaire, qu’incarne le socialiste libre-penseur belge César de Paepe, défend une position conservatrice, faisant de la femme avant tout une ménagère, tandis que le courant minoritaire, libertaire mais à mille lieues de Proudhon, plaide pour que ces dernières mènent leur vie comme elles l’entendent. Même divergence au sujet des grèves, inutiles pour les uns, inévitables mais insuffisantes pour les autres, sur le rôle des syndicats à qui certains entendent confier l’organisation du travail dans un futur débarrassé de la domination capitaliste et étatique, sur la place du mouvement coopératif dans le monde à faire advenir, et bien évidemment sur la place du combat électoral dans la stratégie ouvrière. Les questions internationales ne sont pas oubliées, qu’elles concernent le mouvement national irlandais ou les risques de conflits inter-étatiques.
Marcello Musto fait ici œuvre utile tant, écrit-il, « la passion politique des ouvriers qui se réunirent à Londres en 1864 offre un contraste saisissant avec l’apathie et la résignation qui dominent souvent aujourd’hui ». Souvent, mais pas toujours...