Anne-Sophie Anglaret, Au service du Maréchal ? La Légion française des combattants (1940-1944), CNRS Editions, 2023.

La Légion française des combattants, et son million d’adhérents, fut le seul mouvement de masse du régime de Vichy. C’est à son histoire que s’est attachée Anne-Sophie Anglaret dans Au service du maréchal ?, publié par CNRS Editions.

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Rassembler tous les anciens combattants dans une structure nationale : telle est l’ambition du maréchal Pétain. Mais donner vie à ce projet n’est pas chose aisée. Il faut d’abord convaincre (puis contraindre) la myriade d’associations d’anciens combattants maillant le territoire de se dissoudre ; des assos qui sont des lieux de sociabilité autant que des structures d’entraide. Si celles ancrées à droite accueille favorablement le projet vichyste, d’autres traînent des pieds et se battent pour poursuivre leurs missions, conserver les fonds qu’elles ont amassés et les locaux dont elles sont propriétaires. Ensuite, il faut nommer aux postes à responsabilité des personnalités connues et respectées. Nommer et non les faire élire ! Pas question que la Légion s’éloigne de sa mission : représenter les anciens combattants et les mettre au service du discours maréchaliste. Les cadres de la légion seront donc des notables : officiers, avocats, médecins, dans leur grande majorité ancrés à droite et à l’extrême-droite, et capables d’arborer sur leur poitrail quelques médailles. Au plus près du terrain, dans les villes et villages, puisque la Légion est présente dans toute la zone libre, les sections sont peuplées d’agriculteurs et de classes moyennes. Les ouvriers ? Ils sont rares, et quand Vichy tente de créer des Groupes légionnaires d’entreprise, l’échec est au rendez-vous.
Ensuite il faut espérer que ceux des tranchées ne méprisent pas ceux de la débâcle, et accueillent les personnes qui, sans passé militaire, ont « l’esprit combattant ». L’engagement est parfois une affaire de famille !
Enfin, il faut mobiliser tout ce beau monde pour marteler la bonne parole pétainiste. Alors on défile, au pas cadencé et béret sur la tête, on fait résonner les cloches et on va jusqu’à Gergovie honorer cette patrie malmenée par les franc-maçons, les Juifs, les communistes et l’esprit du Front populaire. Cependant la Légion n’est pas le bras armé du pouvoir, tout au plus sa voix et ses oreilles : relayer la parole du maréchal, flétrir et moucharder les traîtres à la patrie, remplir des missions sociales. Certains légionnaires, notamment dans les cercles dirigeants, se plaignent rapidement d’avoir si peu d’influence politique concrète, notamment au niveau communal.

Pour l’autrice, le légionnaire a ainsi deux visages : l’ancien de 1914, vivant en zone rurale, conservateur mais peu porté à l’activisme radical ; le combattant de 1939, urbain, issu des classes moyennes, avec un ancrage fort à l’extrême-droite. C’est pourquoi, il ne faut pas faire de ces hommes des partisans de Vichy et encore moins des défenseurs de la Collaboration. La grande majorité des légionnaires ne fait que perpétuer ce qu’elle faisait depuis la fin de la première Guerre mondiale dans ses associations : se réunir, défiler, honorer les frères d’armes morts aux combats. Nationalistes, patriotes, conservateurs, attachés à la personne de Pétain, sans doute, mais pas collabos ! C’est ce que leurs reprochent la minorité des légionnaires impliqués avant-guerre dans des mouvements réactionnaires qui, elle, a la volonté de radicaliser encore plus à droite l’engagement légionnaire. Et la Milice sera leur œuvre.