Nicolas Le Dévédec, Le mythe de l’humain augmenté. Une critique politique et écologique du transhumanisme, Ecosociété, 2021.

Dans notre monde tel qu’il va, être soi ne suffit plus. Si l’on veut réussir et performer, il nous faut être plus que soi, et la science peut nous y aider. D’où l’intérêt de lire Le mythe de l’humain augmenté. Une critique politique et écologique du transhumanisme dû à la plume du sociologue Nicolas Le Dévédec.

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Dans un monde qui nous invite constamment à nous évaluer, nous comparer et nous dépasser, à prendre nos constantes quand on court, à noter le livreur de pizzas ou le chauffeur ubérisé ; à l’heure du coaching permanent, où dans le monde chaleureux de l’entreprise, il nous faut faire carrière en ne comptant que sur nos qualités propres, le discours transhumaniste ne peut que trouver des oreilles attentives.
Refuser de « faire de l’augmentation humaine un droit fondamental », refuser à tous la possibilité d’orienter son évolution biologique, n’est-ce pas nous condamner à la médiocrité, autrement dit à n’être que nous-mêmes ? Et si l’industrie pharmaceutique mettait sur le marché une pilule favorisant l’empathie, précieuse aide pour que règne la paix dans le monde ; si elle en produisait une seconde spécialement dédiée à la gestion des émotions amoureuses, le monde n’y gagnerait-il pas en plénitude et sagesse ? Et si « la modification biomédicale des humains (permettait) de diminuer leur impact sur le changement climatique », en les rendant moins gourmand et moins polluant, ne disposerait-on pas là d’une formidable réponse technologique aux conséquences du réchauffement climatique ?

Autant l’avouer : si le monde contemporain est imparfait, c’est parce que les humains, « handicapés par leur biologie », leurs foutus instincts et pulsions, héritages de « dizaines de milliers d’années d’évolution », sont inadaptés au monde qu’ils ont fait naître !
Le discours transhumaniste, bien que très divers dans ses intentions1, nous dit l’auteur, est dominé par une idée : l’adaptation ; autrement dit l’adaptation du monde tel qu’il est : néolibéral, technophile. Ainsi, il « biologise » les problématiques sociales, faisant dépendre notre avenir, individuel et collectif, de l’utilisation libre ou régulé des technosciences. Ce faisant, il dépolitise nos existences : ce n’est donc pas la praxis humaine porteuse d’émancipation sociale qui nous sauvera du désastre annoncé, mais l’ordonnance du médecin qui assurera notre survie dans un monde dévasté…

Il y a dans le transhumanisme, nous dit l’auteur, une quête, qu’il voit comme une des conséquences de l’esprit des Lumières : la quête de la maîtrise totale de l’homme sur son environnement où «les progrès de la technique sont pensés comme pouvant entraîner dans leur sillage le progrès social et moral»2.
« Le mouvement (transhumaniste) constitue tout sauf une idéologie révolutionnaire », écrit Nicolas Le Dévédec puisque, paraphrasant le comte de Lampedusa, il s’agit de « tout changer techniquement pour qu’en définitive rien ne change politiquement ». Or, ajoute-t-il, c’est bien le « monde capitaliste de la croissance et de l’appropriation technoscientifique illimitée de l’humain qui est en cause et qu’il s’agit d’interroger. »

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1. Les transhumanistes libertariens et ceux du courant dit démocratique ou humaniste ne partagent pas les mêmes valeurs, mais partent d’un même constat : c’est l’homme imparfait qu’il faut changer par la science, pas le monde.
2. Anne Salmon, Moraliser le capitalisme ?, CNRS Editions, 2009, p. 157.