Emma Goldman, La liberté ou rien. Contre l’État, le capitalisme et le patriarcat, Lux,2021.

Emma Goldman fut qualifiée un temps de « femme la plus dangereuse d’Amérique ». Les éditions Lux font revivre sa plume avec une anthologie de ses textes intitulée La liberté ou rien. Contre l’État, le capitalisme et le patriarcat.

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Ne faisons pas de l’anarchiste russo-américaine ce qu’elle n’est pas. Emma Goldman n’était pas une théoricienne, mais une propagandiste de premier plan, pugnace et indocile, une activiste généreuse et une femme libre. En témoignent ses mémoires et cette anthologie qui se clôt par un vibrant plaidoyer anarchiste pour la liberté et l’engagement.

Le premier texte date de 1908. Accusée de tous les maux, Emma Goldman saisit l’opportunité que lui offre un journal new-yorkais pour exposer ses vues et convictions. Elle y dénonce la propriété privée des moyens de production, cause de tant de misère, l’État qui la protège et son armée, fait l’éloge de la liberté d’expression, flétrit l’église, faisant un lien entre domination religieuse et domination politique : « Aussi longtemps que l’homme voudra bien laisser le diable prendre soin de son âme, il pourra, selon la même logique, laisser les politiciens prendre soin de ses droits ». Elle y défend enfin, et farouchement, l’amour contre le mariage, et la contre-violence anarchiste, y compris la propagande par le fait : « En comparaison de la violence générale engendrée par le capital et le gouvernement, écrit-elle, les actes de violence politique ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan ».



Son anarchisme est une rébellion contre la « paresse intellectuelle », un appel « à le réflexion, à l’évaluation et à l’analyse de toute proposition », d’où ses combats contre l’institution pénitentiaire, inutile « comme mesure de prévention et de réforme ». Il est aussi un vibrant plaidoyer pour l’action directe : « L’action directe contre l’autorité dans l’atelier, contre l’autorité de la loi, contre l’autorité envahissante et inquisitrice du code moral, voilà la méthode qui correspond logiquement à l’anarchisme. » Une action directe qui lui fait défendre le syndicalisme révolutionnaire contre ceux qui voudraient arrimer le syndicat à un parti1 ou à un Etat, comme elle le constata lors de séjour dans la jeune Russie soviétique.

Les féministes d’aujourd’hui trouveront intérêt à lire les textes rudes d’Emma Goldman sur ses consœurs, en prenant garde à ne pas les décontextualiser. Elle y fustigeait la bigoterie, le goût pour le « foyer conjugal » et l’ordre moral de certaines, la focalisation sur le suffrage universel, ce « fétiche moderne », pour d’autres. Puisqu’il n’y a, écrit-elle, « aucun espoir que la femme assainisse les mœurs politiques avec son droit de vote », elle en tire une conclusion : « la véritable émancipation ne commence ni aux urnes2, ni au tribunal. Elle commence dans l’âme de la femme. » Il revient ainsi à chacun/chacune, nous dit Emma Goldman, de se libérer des fantômes qui le rendent captif/captive. Eloge de l’individu qui n’a rien à voir avec l’individualisme qu’elle qualifie de prédateur mis en avant par les libéraux. Elle écrit : « Je mets ma foi dans l’individu et dans la capacité d’individus libres de s’unir pour agir ». Autonomie individuelle et force collective en somme.

Notes
1. La volonté guesdiste de satellisation du syndicalisme n’a pas épargné le syndicalisme états-unien comme en témoigne l’histoire mouvementée des IWW (Industrial workers of the world).
2. lle écrit par ailleurs : « L’arène politique n’offre d’alternative qu’entre l’âne et l’escroc. »