Vincent Dubois, Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre, Raisons d’agir, 2021.

Il est des livres dont on regrette le volume et la densité. C’est le cas de Contrôler les assistés, de Vincent Dubois, édité par les éditions Raisons d’agir. Avec ses 445 pages et 1000 notes de bas de page, ce passionnant travail en impose et en effraiera plus d’un. Et c’est dommage, car quand je l’ai refermé, je me suis dit qu’il serait des plus judicieux que l’auteur se remette à la tâche et nous propose un livre beaucoup plus court, synthétique et accessible tant son travail me semble important pour comprendre le monde néolibéral tel qu’il va.

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Nous sommes au milieu des années 1990, la France a pour président Jacques Chirac et pour Premier ministre Alain Juppé. Leur ennemi a les traits du syndicaliste et du citoyen irresponsables, incapables de comprendre la nécessité de réduire le montant des dépenses publiques. Il a aussi le visage du chômeur, du pauvre, de l’assisté qui fraudent, abusent et s’enrichissent sur le dos de la communauté nationale. Car les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Mais quels chiffres ? Car là réside le problème principal : aucune étude ne peut étayer l’affirmation gouvernementale ; pire même, la fraude sociale ne peut être comparée à la fraude fiscale qui elle, grève lourdement le budget de l’État. Mais à l’évidence, il vaut mieux pointer un doigt menaçant sur le pauvre que d’envoyer des bataillons d’agents du fisc dans les beaux quartiers ou au siège du MEDEF ! C’est ainsi, nous explique l’auteur que les politiques ont fait d’un problème mineur (la fraude sociale) un problème de salubrité publique appelant une réponse forte sous la forme d’un développement du contrôle des bénéficiaires ; contrôle devant prouver à terme que le « pognon de dingue » pourrait cesser de l’être si les organismes sociaux châtiaient et sermonnaient les allocataires indélicats.

L’objectif est fixé, ne reste plus qu’à mettre en branle la machine bureaucratique. Vincent Dubois nous entraîne alors au plus près du terrain, là où l’on s’efforce de distinguer la fraude délibérée et les erreurs dans l’établissement du dossier, là où l’engouement de certains pour le contrôle social côtoie et affronte les réticences de celles et ceux qui rechignent à se transformer en enquêteurs soupçonneux et intrusifs, là où l’on rappelle à l’agent qui se pensait au service du public et accomplissait ses missions avec tact et mesure, qu’il est avant tout au service d’un État néolibéral pour lequel l’algorithme est l’arme fatale.

« Plus de tolérance à l’égard des contribuables, plus d’intransigeance à l’égard des assistés sociaux : le constat établi pour la Grande-Bretagne des années Thatcher vaut pour la France des années Chirac, Sarkozy et Hollande » nous dit l’auteur, qui souligne également que ce sont les plus pauvres d’entre les pauvres qui sont les plus contrôlés et sanctionnés. Qu’importe si la « fraude des pauvres est une pauvre fraude », autrement dit sans impact financier sur les comptes de la nation. Le but n’est pas tant de réduire les dépenses sociales que de « moraliser », de « mettre au pas » une fraction de la population française, et de lui rappeler qu’on ne lui doit rien, ou pas grand chose. Et cela m’a remis en mémoire ces mots de Herbert Spencer, pourfendeur de l’État social : « La sympathie pour une personne qui souffre supprime, pour le moment, le souvenir des fautes qu’elle a commises ».