Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration. L’UGIF 1941-1944, Editions du Détour, 2021.

Par une loi du 29 novembre 1941, le gouvernement de Vichy institue l’Union générale des Israélites de France (UGIF). C’est à cette organisation singulière et controversée que s’est intéressé Maurice Rajsfus, journaliste et historien militants, rescapé du Vel’ d’hiv’, dans Des Juifs dans la Collaboration. L’UGIF 1941-1944, livre réédité par les éditions du détour.
Décédé en 2020, Maurice Rajsfus était un homme en colère, un insurgé permanent contre les silences et mensonges de l’Histoire. Au nom des siens, morts dans les camps, et de tous les autres, il fut l’auteur d’une œuvre importante, dévoilant ce que beaucoup désiraient dissimuler comme l’antisémitisme de la police sous Vichy ou l’implication concrète des élites juives dans la Solution finale.

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On se souvient avec quelle virulence la philosophe Hannah Arendt1, mais aussi l’historien Raoul Hilberg2 ou le sociologue Zygmunt Bauman3 avaient critiqué les Judenräte, ces conseils juifs mis en place par les Nazis afin de contrôler les différentes communautés juives. Des conseils qui ont concrètement fait le travail des bourreaux en sélectionnant ceux qui devaient être déportés en priorité, en sacrifiant une partie de la communauté dans l’espoir d’en sauver une autre… ou au moins sa propre peau.
L’Union générale des Israélites de France a fait ce travail. Création vichyste chargée de chapeauter toutes les structures israélites de bienfaisance existantes, confiée aux bons soins de la bourgeoisie juive nationale, l’UGIF a donc collaboré en facilitant l’encadrement de la communauté, son recensement, sa localisation ; notamment de ces Juifs étrangers pour lesquels elle n’avait guère d’empathie.

Maurice Rajsfus insiste beaucoup sur la xénophobie et le mépris de classe de cette bourgeoisie juive, politiquement conservatrice voire réactionnaire, s’accrochant à l’idée que Vichy est capable de tenir tête à Hitler et de lui imposer la sauvegarde de la communauté juive nationale, quitte pour cela à sacrifier les Juifs apatrides ayant trouvé refuge au pays des droits de l’Homme4. Sans oublier que l’appartenance aux cercles de responsabilité de l’UGIF peut être utile pour préserver les intérêts de sa propre famille, voire même pour s’enrichir puisqu’en tant que structure dite de bienfaisance, elle manipule des sommes conséquentes qu’elle est censée redistribuer.
Le fait que de nombreux responsables aient fini dans les camps, que certains membres aient été impliqués dans la Résistance, ne peut faire oublier, nous dit Rasjfus, le rôle actif de l’UGIF dans la spoliation et la déportation des Juifs habitant l’hexagone. Pour les Juifs partisans de la lutte armée, l’UGIF n’était qu’une « filiale de la Gestapo », dont le légalisme ne servait qu’à remplir les convois destinés aux camps de la mort. Rajsfus partage ce constat.

Dans les cercles dirigeants de l’UGIF se côtoyaient des opportunistes et des margoulins, des arrivistes et des ambitieux, mais aussi des naïfs persuadés de faire le bien à l’heure où régnait le mal ; et des hommes d’ordre avant tout, d’une docilité à toute épreuve.
« Trop d’intérêts liaient les notables juifs à la bourgeoisie française pour qu’après la guerre, l’UGIF puisse être mise en accusation » écrit Maurice Rajsfus. Et en effet, la volonté de certains, notamment de résistants juifs, de faire toute la lumière sur les activités de l’UGIF se heurta bien vite à une autre volonté, plus puissante, portée par le tout jeune Conseil représentatif des institutions juives de France : ressouder une communauté meurtrie autour de ses élites en apaisant les passions5...


1 Hannah Arendt, Eichmann à Jerusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966.

2 Auteur d’une somme : La destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1988, 1099 p.

3 Zygmunt Bauman, Modernité et holocauste, Editions Complexe, 2008.

4 Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981.

5 Lire Anne Grynberg « Juger l’UGIF (1944-1950) ? » in Terres promises. Mélanges offerts à André Kaspi, Editions de la Sorbonne, 2010.