Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle, Ventes d’armes, une honte française, Le Passager clandestin, 2021.


La France est le pays des droits de l’homme, des philosophes va-t’en-guerre en chemise blanche, des ventes d’armes et du secret défense. Et cela ne date pas d’hier. Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle rouvrent le dossier avec Ventes d’armes, une honte française, édité par Le Passager clandestin.

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Depuis des décennies le discours gouvernemental est rôdé : on ne vend pas à n’importe qui, les ventes d’armes sont contrôlées/validées par la représentation nationale, quant à la discrétion, elle est nécessaire car ce commerce est particulier. Un argument n’a pas survécu à la fin du dernier siècle : en vendant des armes, la France permet à des Etats de ne pas s’inscrire dans la guerre d’influence que se livrent les blocs américain et soviétique. En revanche, rien ne pourra mettre au rencard le « il vaut mieux une politique de dialogue exigeant qu’une politique de boycott. » ! Ainsi, c’est grâce à la vente d’avions au Général Franco et d’hélicoptères de combat à l’Afrique du sud sous apartheid que nous avons mis ces deux pays sur le chemin de la démocratisation. Nous pourrions rire de cette formule si elle ne remplissait pas les cimetières…

Certains mirent leurs espoirs dans la gauche, en ces temps désormais lointains où elle n’avait pas goûté aux délices du pouvoir et de la realpoltik. Elle avait promis, craché juré que la représentation nationale aurait un jour son mot à dire, qu’il en serait fini de l’opacité, qu’un jour ce commerce singulier serait éthique. Il n’en fut rien. Il en va de la vente d’armes comme de la politique africaine. La gauche de gouvernement s’est glissée dans les chaussons de la droite. Business is business, « le calcul cynique l’emporte sur le respect du droit international et des droits humains ». Renoncer aux ventes d’armes, c’est mettre en péril des entreprises, des fleurons de l’industrie nationale nourris d’argent public, des centaines de milliers d’emplois directs et indirects ; c’est renoncer à jouer un rôle dans la marche du monde. Et quel rôle…

Les optimistes s’accrochent à l’idée que le Traité sur le commerce des armes adopté par l’ONU peut moraliser ce secteur économique en pleine expansion. Les cyniques rappellent l’existence en France d’une commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre qui veille scrupuleusement à ce que les contrats signés soient respectueux du droit international et de la morale. Problème : les avis de cette commission sont confidentiels et protégés par le secret-défense. Nous ne saurons donc pas comment elle a pu justifier le contrat liant la France à la vertueuse Arabie saoudite. Au nom sans doute de la guerre contre le terrorisme islamiste qui autorise tout, y compris et surtout à soutenir des régimes dont la politique économique et sociale jette dans la contestation, y compris religieuse, des pans entiers de la population.
Mohammed Ben Salmane peut faire découper en morceaux un opposant politique, le Général Al-Sissi peut massacrer, faire incarcérer des milliers d’opposants, ils savent qu’ils peuvent compter sur la France des droits de l’homme, comme jadis les dictateurs latino-américains savaient pouvoir s’appuyer sur le savoir-faire tricolore en matière de maintien de l’ordre.
Cela n’a que trop duré nous disent les auteurs. Comment leur donner tort ?