Sophie Béroud et Martin Thibault, En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation, Raisons d’agir, 2021.


Les études, enquêtes et autres travaux s’intéressant au syndicalisme contemporain sont rares. Certes, on peut trouver ça-et-là quelques témoignages d’acteurs, des pamphlets, des monographies de luttes sociales, mais d’immersions dans le syndicalisme du quotidien et au quotidien, il y a peu. D’où l’intérêt du travail de Sophie Béroud et Martin Thibault intitulé En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation, livre publié par les éditions Raisons d’agir.

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Cet ouvrage est la conclusion d’un enquête entamée en 2008 et dont l’objet est une structure syndicale singulière : l’Union syndicale Solidaires. Enquête au long cours donc, au coeur d’une organisation vieille de deux décennies, mais dont l’histoire a vingt ans de plus, puisque c’est en 1981 que fut fondé le Groupe des Dix, rassemblement de syndicats autonomes, fort attachés à leur indépendance d’action… et souvent raillés pour leur esprit corporatif.
L’entrée des syndicats SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques) dans ce groupe des Dix a profondément fait évoluer la structure. Formés par des exclus de la CFDT dont il critiquait la droitisation, ces syndicats s’appuyaient sur des militants pugnaces, très bien formés, marqués politiquement à l’extrême gauche, désireux de « subvertir l’ordre établi dans le champ syndical en construisant un modèle plus démocratique, plus autogestionnaire » et de réaffirmer l’actualité d’un syndicalisme de la double besogne : défense des intérêts immédiats des travailleurs d’un côté, engagement en faveur d’un transformation sociale radicale de l’autre. Syndicalisme exigeant donc, pour lequel l’engagement ne se résume pas à prendre sa carte et à confier son sort à des professionnels de la négociation. Pour Solidaires, les enjeux étaient pluriels : il lui fallait s’imposer comme force syndicale dans le paysage national, parvenir à s’implanter dans le secteur privé, mais aussi sortir le syndicalisme du lieu de travail et de la routine bureaucratique, s’émanciper du « dialogue social » institutionnalisé et s’impliquer dans les mouvements sociaux, comme celui des Gilets jaunes, en y défendant un syndicalisme de lutte, échapper à la réunionnite et à la professionnalisation qui transforment nombre d’élus en cogestionnaires dépolitisés du capitalisme contemporain. Tout cela dans un univers hostile marquée par la fragmentation des statuts du travail, les déserts syndicaux et le vieillissement des équipes syndicales, un management offensif qui pousse à l’individualisme et une doxa néolibérale toute-puissante qui nous rappelle que la lutte des classes est aussi une lutte culturelle et symbolique.

Difficile d’être partout sans s’épuiser, difficile de faire cohabiter au sein d’une même organisation des militants de cultures et de générations différentes. Les militants rencontrés par les auteurs en témoignent et nous rappellent une évidence : l’engagement syndical est plus souvent le fruit du hasard que la conclusion d’une démarche intellectuelle et d’un choix idéologique. C’est le cas notamment de beaucoup de jeunes adhérents Solidaires, qui ont poussé la porte du syndicat uniquement pour des motifs professionnels. La transformation sociale, les querelles d’appareils… tout cela les dépasse et ne les intéresse pas.

Si le syndicalisme de contestation sociale ne veut pas mourir, il va devoir, non s’adapter, mais se penser comme outil d’émancipation individuel et collectif et non comme fin en soi, se réinventer, s’ouvrir aux autres et aller là où se politisent dans la cacophonie ces franges du salariat précarisées, ces « premiers de corvée » pour lesquels le syndicalisme est une affaire de fonctionnaires ou de salariés de grosses boîtes, une affaire de bureaucrates adeptes du compromis et de la compromission. Et faire avec les travailleurs tels qu’ils sont, car c’est par la lutte que l’on se forge une conscience de classe.