Au Loong-Yu, Hong Kong en révolte, Syllepse, 2021.

Que se passe-t-il depuis une décennie à Hong-Kong, l’ancienne colonie britannique rendue à la Chine en 1997, et jouissant depuis lors d’un statut particulier qu’illustre la formule « Un pays, deux systèmes »  ? Assistons-nous à la lutte opposant un peuple acquis à la démocratie à un Etat-parti totalitaire ? L’intérêt de Hong-Kong en révolte, livre du militant Au Loong-Yu, est de nous obliger à rompre avec les analyses simplistes.

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Au Loong-Yu est marxiste, et ils ne sont guère nombreux à l’être, aussi bien dans l’immense Chine continentale que dans les 1000 kilomètres carrés de ce port franc qu’est Hong-Kong ; et c’est en marxiste soucieux d’histoire et de sociologie qu’il analyse une décennie de conflits ouverts entre le pouvoir chinois et une fraction de plus en plus conséquente des Hong-Kongais.

En 2014, le mouvement des parapluies avait marqué les esprits : des étudiants avaient fait reculer le gouvernement chinois qui entendait limiter l’autonomie hong-kongaise ; une victoire donc, mais qui avait mis en lumière une profonde fracture au sein de la société car la jeunesse éduquée n’avait pas fait l’unanimité derrière elle. Cinq ans plus tard, ce ne sont plus seulement de valeureux étudiants qui affrontent Pékin et ses projets de réforme mais jusqu’à deux millions de personnes qui osent descendre dans la rue et défier à la fois l’establishment hong-kongais et Xi Jinping ; ce n’est donc pas seulement la jeunesse qui s’est radicalisée mais de larges pans de la population, y compris les classes populaires, et nous avons même vu les syndicats, aussi modérés que bureaucratisés, oser prendre position ! De plus, on ne se mobilise pas seulement « contre la Chine » et pour le statu-quo, mais pour faire de Hong-Kong un véritable territoire démocratique, ce qu’il ne fut jamais, y compris sous domination britannique.
Saut qualitatif donc, même si la question sociale n’est pas centrale pour la majorité des manifestants. Pourtant, 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, la situation économique et sociale inquiète la jeune génération, la compétition pour les bons emplois rémunérateurs est de plus en plus rude, tout comme l’accès à un logement digne de ce nom.

Autre limite pointée par l’auteur. Il rappelle que les Hong-Kongais, conservateurs et anti-communistes, n’ont pas de culture démocratique, d’où leur difficulté à envisager et construire un mouvement solidaire face à l’adversité. Tâche de toute façon compliquée puisque rien ne peut unir un jeune révolté adepte du black bloc, qui ne jure que par la spontanéité et la guérilla urbaine, et un nationaliste hong-kongais, volontiers xénophobe et pro-business. Comme l’écrit Au Loong-Yu, « l’incapacité à résoudre les différends par le biais de discussions politiques et démocratiques sérieuses a souvent abouti à des pinaillages et à la fragmentation. » Il pointe « l’inexpérience de la jeunesse radicale », sa méfiance à l’égard de toute forme d’organisation, et donc la difficulté pour le mouvement d’opposition de se structurer. Mais la conscience de classe est aussi une vieille taupe qui fait son chemin, se nourrissant d’expériences et de ses échecs...