Jean-Bernard Gervais, Au royaume de la CGT. La résistible ascension de Philippe Martinez, Michalon, 2021.

Au royaume de la CGT. La résistible ascension de Philippe Martinez, tel est le titre du livre proposé par le journaliste Jean-Bernard Gervais, par ailleurs syndicaliste CGT. Un livre cinglant qui devrait faire grincer bien des mâchoires...
Pour certains, attaquer la CGT, c’est s’en prendre à 130 ans d’histoire, autrement dit de luttes et de sang versé ; d’autres souligneront que tout cela n’est que calomnies, ou bien que le linge sale, ça se lave en famille, que l’exposer sur la place publique fait le jeu de l’ennemi de classe et des médias bourgeois ; d’autres encore n’y verront que le vulgaire pamphlet d’un journaliste en recherche de notoriété, sans doute téléguidé par une officine gauchiste…

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Ne faisons pas de ce livre, ce qu’il n’est pas et ne prétend pas être. En 2013, la journaliste Leïla de Comarmond avait publié un livre intéressant et documenté sur l’évolution de la centrale ouvrière depuis le début des années 1990(1) ; quatre ans plus tôt, des chercheurs réunis par la sociologue Françoise Piotet nous proposaient une passionnante exploration du syndicalisme CGT au plus près du terrain(2). Rien de tel ici. L’ambition de l’auteur est bien moindre. Il ne fait que nous livrer un témoignage sur sa courte vie de « journaliste en immersion » à la CGT, témoignage subjectif et qui se pose comme tel. Un livre qui se lit aussi vite qu’il semble avoir été écrit : on y trouve par exemple un savoureux mais involontaire lapsus calami, l’auteur transformant soudainement le comité confédéral national (le parlement de la CGT) en comité consultatif national ; ou encore, une certaine confusion idéologique, les syndiqués du courant « rouge-vif » étant successivement traités d’anarcho-communistes puis de staliniens !

En fait, Jean-Bernard Gervais ne nous apprend finalement pas grand-chose. Oui, la CGT est en crise et les raisons en sont multiples, la destruction des bastions ouvriers historiques, la fragmentation du salariat ou encore la révolution néolibérale et l’implosion du bloc communiste ayant particulièrement affectées la centrale ouvrière. Oui, les cadres militants sont vieillissants et certains gèrent leur sinécure en attendant la retraite. Oui, il n’est pas rare que des militants héritent de postes de permanent pour lesquels ils n’ont pas les compétences requises. Oui, les syndiqués actifs sont moins nombreux, tout comme les encartés du Parti communiste qui longtemps tinrent la baraque avec la discipline qu’on leur connaît. Oui, la CGT n’est plus ce bloc inébranlable et unanimiste, mais un organisme bureaucratique fédéraliste au sein duquel certaines fédérations puissantes sont des Etats dans l’État et le font savoir à l’occasion. Oui, une appartenance syndicale quelconque n’interdit pas les comportements xénophobes, sexistes, homophobes...

Pourquoi alors lire ce livre de Jean-Bernard Gervais ? Pour mesurer à quel point la CGT semble ne s’être pas remise de la crise qui a éclaté lors de la succession de Bernard Thibaut, qui fit que l’heureux élu, Thierry Lepaon, fut poussé à la démission, accusé d’avoir un goût certain pour l’argent et le luxe. Problème : c’est grâce à des fuites que la presse fut mise au courant. Alors depuis 2015, une atmosphère délétère, paranoïaque, s’est emparée du siège confédéral où tout le monde s’épie, se méfie, tente de découvrir la taupe ou croît l’avoir trouvée, règle ses comptes et cherche à nuire. Et dans ce bateau à la dérive, Philippe Martinez, le mal-élu, le second couteau sans charisme, s’efforce de construire son propre réseau de fidèles soutiens afin de ne plus dépendre des alliés de circonstances qui l’ont porté là… en attendant mieux.
L’auteur dresse ainsi un portrait très dur de la centrale ouvrière, non de sa base mais de son sommet. Car Jean-Bernard Gervais n’oublie pas de rappeler que pendant que certains se perdent dans les conflits d’égos et d’appareils, des syndicalistes CGT se battent pied à pied, avec acharnement, contre les offensives macroniennes et se désolent souvent des directives confédérales… ou de leur absence.

Notes :
1 Leïla de Comarmond, Les vingt ans qui ont changé la CGT, Denoël, 2013. Jean-Bernard Gervais nous apprend que ce livre fut fort peu apprécié par les sphères dirigeantes du syndicat et que l’auteur fut longtemps persona non grata à la confédération.
2 Françoise Piotet (sldd), La CGT et la recomposition syndicale, PUF, 2009. Le titre peut porter à confusion : il ne traite pas de relations interconfédérales.