Clara Zetkin
Je veux me battre partout où il y a de la vie
Editions Hors d’atteinte, 2021.

« Je veux me battre partout où il y a de la vie » : tel est le titre que la journaliste Florence Hervé a donné à l’anthologie de textes, parfois inédits, de Clara Zetkin que viennent de publier les éditions Hors d’atteinte. Titre judicieux car il en dit long sur le caractère généreux et pugnace de cette révolutionnaire allemande de premier plan, contemporaine de Rosa Luxembourg, sa grande amie.

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Clara Zetkin fut tout autant une figure du socialisme allemand que de l’Internationale communiste. Et dans ces deux organisations, celle qui fut l’initiatrice de la journée internationale des femmes fit entendre sa dissidence. Dans la première, elle fit le procès du réformisme et appela les travailleurs à rompre avec les traîtres de 1914 et à se faire communistes. Dans la seconde, au milieu des années 1920, elle affronta la majorité, lui reprochant de mal interpréter la montée du fascisme et de se faire des illusions sur les capacités révolutionnaires à court terme de la classe ouvrière occidentale ; une dissidence qui ne fit cependant pas d’elle une réprouvée, comme Trotsky et tant d’autres, puisqu’elle repose depuis son décès, en 1933, dans la nécropole du mur du kremlin, non loin de Lénine pour lequel elle avait une grande admiration. Une dissidence relative puisqu’un an avant sa mort, par conviction ou discipline, dans un discours devant le Reichstag dont elle était la doyenne, elle saluait la construction du socialisme soviétique avec ces mots : « Les travailleurs ont la maturité nécessaire pour construire un nouvel ordre où le développement économique ne nécessite pas de crises désastreuses. » Quand on se rappelle avec quelle brutalité le premier plan quinquennal stalinien s’est déployé, les mots de Zetkin peuvent irriter…

Alors que Rosa Luxemburg a atteint la notoriété par son travail théorique d’ampleur (doublé d’une mort tragique), Clara Zetkin s’est fait connaître par son inlassable activisme en direction des femmes du peuple, ce dont cette anthologie témoigne ; femmes travailleuses qu’elle veut voir s’émanciper de la tutelle maritale comme du joug capitaliste. Elle ne veut pas ni d’une guerre des sexes, ni d’un mouvement autonome des femmes qui verrait des ouvrières lutter aux côtés de bourgeoises au nom de leurs intérêts communs. Non, elle plaide pour l’émergence de clubs de femmes liés intimement au parti. De même qu’elle veut les voir entrer dans les syndicats afin d’empêcher le patronat de les utiliser pour abaisser les salaires. Elle les veut pleinement citoyennes, fustige le mariage bourgeois et l’enseignement qui enferment femmes et enfants dans le conservatisme. Son féminisme s’incarne dans cette phrase : « Les femmes sont devenues exigeantes. Elles ne veulent pas servir les hommes, mais être à leurs côtés, avancer avec eux vers des objectifs élevés. »

Cette anthologie nous entraîne également dans cette longue décennie tourmentée celle qui part des espoirs de 1917 et se clôt avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler.
Communiste et révolutionnaire, Clara Zetkin se désole devant l’évolution du communisme allemand sur lequel la Troisième Internationale compte tant pour étendre la révolution à l’Ouest. Cette Révolution, elle ne vient pas, et les incantations de congrès n’y changeront rien. Amère, elle constate que le Parti communiste allemand, miné par les querelles, n’a pas remplacé dans le coeur des travailleurs allemands le Parti socialiste, et que la politique sectaire de l’Internationale l’a rendu impuissant alors que monte le fascisme ; fascisme dont elle a analysé longuement la nature complexe dans un rapport destiné à la Troisième Internationale dès 1923. Elle insistait notamment sur le fait que le fascisme était « un mouvement d’affamés, de miséreux, de déracinés et de déçus » et que le devoir des communistes étaient de « parler une langue adaptée à leur état d’esprit », sans rien renier de leurs convictions afin de gagner leurs âmes. Telle était Clara Zetkin : une combattante que rien ne pouvait désarmer.