Vladimir Pozner
Un pays de barbelés. Dans les camps de réfugiés espagnols en France, 1939
Editions Claire Paulhan, 2020

En mai 1939, l’écrivain-journaliste Vladimir Pozner pose sa valise à Perpignan. Là et alentours, des centaines de milliers d’Espagnols fuyant l’avancée des troupes franquistes tentent de survivre. Missionné par le Comité d’accueil aux intellectuels espagnols, association dont le but est de « sauver l’intelligence de l’Espagne » selon les mots d’Aragon, Pozner a un but : faire sortir des camps autant d’intellectuels qu’il le peut. C’est cette histoire que nous raconte « Un pays de barbelés. Dans les camps de réfugiés espagnols en France (1939) », publié par les éditions Claire-Paulhan ; livre particulier puisqu’il ne s’agit pas d’un manuscrit inédit de Pozner mais d’un « puzzle documentaire » constitué à partir des lettres, notes, articles, rapports et autres commentaires retrouvés dans les archives de l’auteur.

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Dans son remarquable « Les Etats-Désunis », Pozner nous plongeait dans l’Amérique laminée par la Grande dépression. Avec ce pays de barbelés et de camps de concentration, nous voici au cœur de la débâcle, de l’incurie, de la désorganisation et de la xénophobie. La France de 19391 n’est pas celle de 1936, elle n’a que mépris pour cette masse pouilleuse et abattue qui a franchi les frontières ; masse dans laquelle se trouvent nombre de communistes, anarchistes et autres représentants de la canaille rouge. Pozner sait qu’il n’aura pas la tâche facile car le comité qui l’envoie est lié au Parti communiste français, autrement dit à Moscou. Lui qui n’a que mépris pour la plupart des militaires et bureaucrates qu’il rencontre doit donc se faire parfois bien flatteur pour se faire ouvrir les portes de l’horreur.
Car c’est bien l’horreur qui se dévoile. Argelès le terrifie. Ces camps de concentration, dont un chef de cabinet soutient qu’ils sont « trop bien » puisque personne ne songe à les quitter pour regagner l’Espagne franquiste, sont des cloaques et des mouroirs : nourriture indigente et indigeste (Pozner parle d’eau de vaisselle dans laquelle surnagent quelques lentilles), absence de médicaments, de vêtements et de couvertures, absence totale d’hygiène. Parqués comme du bétail, surveillés de près et bastonnés à l’occasion, les réfugiés se battent contre le froid, la faim, la gale, la dysenterie, la malaria, la typhoïde… et le désespoir. Car l’attente semble sans fin. Et Pozner d’évoquer ce vieux professeur devenu fou, donnant chaque jour des conférences incohérentes devant une poignée de ses anciens étudiants : « ils n’ont qu’un moyen d’aider leur vieux professeur : l’empêcher de redevenir lucide. »
Faire vite donc. Vladimir Pozner se démène pour sauver ces intellectuels de la Retirada : artistes, écrivains, mais aussi juristes, professeurs… Les faire sortir des camps en trouvant l’argent nécessaire (la liberté a un prix : 2000 F) ou les faire partir loin, au Mexique ou le gouvernement a promis d’ouvrir ses portes. En peu de temps, ce sont plus d’un millier d’intellectuels qui bénéficieront de l’aide du comité.

Dans un article de presse, réquisitoire implacable contre ces camps de la honte, ces « morceaux du sol français entourés de barbelés français », Vladimir écrit, et ces propos résonnent de façon terrible quand on voit comment l’Europe traite ou sous-traite les migrants : « Nous ignorons les intentions de ceux qui ont créé et qui dirigent les “centres d’accueil”. Mais s’il s’agissait, avec un minimum de moyens et dans un minimum de temps, de créer de toutes pièces, chez un demi-million d’êtres humains, la haine de la France, ce but a presque été atteint. » A méditer.

Note :
1. Le préfacier Alexis Buffet commet une erreur en indiquant que le gouvernement français du Front populaire fut pris de court par la Retirada, car il avait rendu les armes au printemps 1938, soit huit mois avant le début de l’exode.