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Sorti initialement en 2013, cette réédition en format poche est toujours d'une grande actualité puisque parmi les principaux candidats à la prochaine élection, deux (Le Pen et Fillon) ont clairement affirmé leur volonté de réformer l'enseignement de l'histoire. Ainsi donc, nos chères têtes blondes auraient besoin qu'on leur raconte des histoires, avec des héros auxquels s'identifier, une France éternelle, généreuse, civilisatrice etc.
Certains considéreront que les historiens perdent leur temps à critiquer Lorant Deutsch ou Stéphane Bern, que les philosophes et sociologues ont mieux à faire qu'à lire du Onfray, du Fourest ou du Zemmour. Tout dépend de la façon dont on s'y prend. Les auteurs auraient pu nous délivrer un pamphlet et se gausser de l'incompétence de Deutsch. Non, ils ont pris au sérieux la façon dont ce passionné d'Histoire traitait les sources… et les maltraitait à l'occasion pour apporter de l'eau à son moulin catholique et royaliste. Ce faisant, ils rendent un bel hommage au métier d'historien, à sa complexité.

Deutsch n'aime pas le peuple quand il se fait braillard, coupe la tête des rois ou se fait communard. Deutsch n'aime pas la Révolution parce que la révolution, c'est la Terreur et que la Terreur, c'est du sang, des larmes et cette fichue république. Deutsch n'aime pas etc.
Mais Lorant Deutsch n'est que la tête de gondole sympathique (n'est-il pas de gauche?) de tout un courant d'historiens (de métier ou de commande) réactionnaires, défenseurs du roman national et de la colonisation (non à la repentance !), qui disposent de leurs entrées dans le monde des médias écrits et télévisuels, où on les reçoit avec beaucoup de complaisance. Ne sont-ils pas des « briseurs de tabous », pourfendeurs d'une Histoire qu'il qualifie d'« officielle », de désincarnée, n'intéressant personne ? Ne se proposent-ils pas de la réhumaniser pour la populariser? Mais à y regarder de près, cette soi-disant humanisation se passe aisément des classes populaires dès lors que celles-ci font irruption sur la scène et bousculent l'ordre du monde. Le peuple, oui !, mais à sa place !
Les auteurs n'affirment nullement que l'Histoire doit appartenir aux professionnels, bien au contraire. Regrettant « l'hostilité des universitaires à la vulgarisation », ils plaident pour que se développent des groupes de recherche historique mêlant historiens de métier et citoyens lambda, où ces derniers pourraient s'initier aux méthodes historiques et se confronter à la (passionnante) difficulté à relater et analyser un fait historique. C'est parce que l'on aura prouvé qu'un « récit critique peut être tout à fait passionnant, vivant et riche en rebondissements, certainement bien plus qu'un conte aseptisé » que l'on parviendra à faire reculer une Histoire bâtie sur des grands hommes, des fantasmes et des mythes.