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L'instituteur révolutionnaire, rescapé/esquinté de la Grande Guerre, maniait aussi bien la plume que la craie. Durant l'entre-deux-guerres, dans les colonnes de L'Ecole émancipée puis de L'Educateur prolétarien, Freinet se fait le propagandiste d'une autre école, indispensable à l'avènement d'un autre monde pour lequel il se bat avec autant d'acharnement. Car Freinet est communiste, mais c'est un communiste atypique, soucieux d'émancipations individuelle et collective, et capable de citer à l'appui de ses dires un théoricien du syndicalisme révolutionnaire tel que Georges Sorel.

Freinet fait partie de cette génération traumatisée par la Première Guerre mondiale. Une génération qui a vécu le bourrage de crâne patriotique à l'école, l'Union sacrée et la propagande des revanchards et des braillards qui hurlaient que le drapeau tricolore planerait sur Berlin avant l'hiver. Une génération qui n'a pu que constater l'incapacité d'une CGT internationaliste, antimilitariste et pacifiste à mobiliser le prolétariat et à lancer « la » grève générale révolutionnaire. Mais les prolétaires de tous les pays ne se sont pas unis : ils se sont déchirés quatre ans durant sur tous les fronts.

Pour Freinet, l'endoctrinement de la jeunesse est à la base du ralliement des adultes au militarisme, et « la pédagogie traditionnelle qui est au service de la classe bourgeoise » ne s'adonne qu'à une « vile besogne de bourrage et d'asservissement ». C'est pourquoi il veut des instituteurs révolutionnaires et pas seulement des syndicalistes révolutionnaires, instituteurs de profession (les préfaciers soulignant à juste titre que pour Freinet, « les pratiques pédagogiques et l'engagement social sont les deux facettes d'un seul et même projet émancipateur »). C'est pourquoi il fustige le quiétisme pédagogique de nombre de ses collègues et les appellent à se débarrasser sans tarder des manuels scolaires et de la dictature des programmes (« l'enfant suivra, s'il le peut »). Il veut que la joie, le plaisir et l'entraide pénètrent dans les classes et y chassent l'ennui, le conformisme, le concurrence et les punitions. Il ne souffre pas cette « domination tyrannique de l'adulte » sur les enfants et se bat pour que l'individualité de chacun d'eux trouve à s'exprimer entre les quatre murs d'une salle de classe… et au-delà, car il ne peut y avoir d'école émancipatrice sans investissement du monde qui l'entoure (il veut à la fois « rattacher l'école à la vie » concrète, et sortir les enfants des « écoles-casernes »).
Il ne veut pas former des citoyens adeptes du garde-à-vous mais « des Hommes », écrit-il, dotés d'esprit critique, capables de se diriger eux-mêmes, sans Dieu ni maîtres (« La démocratie ne peut pas être un troupeau ») et pour lesquels le capitalisme devienne « une offense pour leur bon sens ».

Cette volonté d'articuler pratiques pédagogiques novatrices et engagement social est « sans doute trop révolutionnaire », nous disent avec regret les coordonnateurs de cet ouvrage en conclusion. Ils ont raison. D'où la nécessité, là où l'on est, dans et hors le champ scolaire, de défendre des pratiques qui rompent ne serait-ce qu'un peu avec la doxa néo-libérale et le conformisme.