Un pays malade a besoin d'un médecin capable d'aller fouiller dans ses entrailles et d'y découvrir les racines du mal. Ca tombe bien, Jean-Marie Le Guen l'est. Les mauvais langues susurrent même qu'il est plus à l'aise dans la rédaction d'une prescription que dans le remplissage d'une feuille d'impôts. Certes, il a sous-évalué de quelques centaines de milliers d'euros la valeur de son patrimoine immobilier, mais répétons-le : il est médecin, pas comptable !

En dix-huit pages, cet ancien strauss-khanien nous dit tout sur les raisons qui poussent nombre de citoyens français à donner leur voix, à confier leurs espoirs à une organisation réactionnaire. Je n'en citerai qu'un seul dans le cadre de cette chronique : la défiance à l'égard des politiques.

Et voici notre Jean-marie Le Guen citant Jérôme Cahuzac qui gérait ses comptes off-shore tout en se faisant le champion de la lutte anti-évasion fiscale ; citant Thomas Thévenoud, le technocrate frappé par des crises de phobie administrative ; citant Aquilino Morelle, l'ancien conseiller du président Hollande, obligé de démissionner après la révélation de ses liens avec l'industrie pharmaceutique alors qu'il était payé par l’État pour les surveiller ; citant Kader Arif, ex-secrétaire d’État aux anciens combattants, démissionné en novembre 2014 ; citant… Excusez-moi, je m'égare : le médecin Le Guen, par décence, s'est bien gardé d'accabler ses anciens comparses et de railler la « République exemplaire », tête de gondole hollandienne idéale pour convaincre le gogo écoeuré par les frasques sarkoziennes. Non, il s'en tire par une phrase : « le FN prospère évidemment sur l'exploitation de certains comportements contraires à l'exemplarité ou à la probité. » Nous voici donc rassurés : notre quinquagénaire République, cinquième de son Etat, n'est pas la République des copains et des coquins raillée en son temps par Michel Poniatowski ; le ver n'est pas dans le fruit, même du côté du Conseil général du Tarn. Et quand on a un ministre de l'Economie socialiste qui déclare : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », on ne peut décemment en vouloir à une classe politique que l'engagement sans faille au chevet de la nation souffrante à transformer en notables, petits et grands bourgeois.

Ce n'est pas un hasard si je me suis focalisé sur cet aspect des choses, très largement dédaigné par Jean-Marie Le Guen. Car ce qui distinguât longtemps la gauche de la droite pour les classes populaires était la croyance dans le profond désintéressement de ceux qui luttaient pour la « Justice sociale ».
Que cette croyance ait été sans grand fondement n'a ici peu d'importance ; que le socialisme démocratique ait servi de marche-pied pour nombre d'opportunistes, professeurs ou avocats, depuis la fin du 19e siècle n'en a pas plus. Cette croyance n'est plus, et sa disparition explique pour une bonne part l'importance de l'abstention dans les quartiers populaires et dans la jeunesse. Car il est là le premier parti de France, un parti qui mêle indifférence à l'égard de la chose politique, dégoût des mœurs politiciennes, désespérance sociale et absence de perspectives.

En 1898, le syndicaliste anarchiste Fernand Pelloutier écrivait : « Ce qui manque à l'ouvrier, c'est la science de son malheur ». Il ne la trouvera pas dans la glose libérale d'un Emmanuel Macron qui ne lui apportera pas la science mais le bréviaire de la soumission à l'ordre capitaliste du monde.