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De Paul Lafargue, on a souvent retenu deux choses : qu'il fut le beau-fils du grand Karl Marx ; qu'il fut le rédacteur d'une sulfureuse brochure qui fit grincer des dents bien des marxistes : « Le droit à la paresse ». On en oublierait presque qu'il fut un militant de premier plan du socialisme français, et une belle plume, dans une période, il est vrai, qui n'en manquait pas.

« La légende de Victor Hugo » débute par le récit sarcastique des funérailles en grandes pompes, que dis-je, de la panthéonisation du grand Homme, ce poète et écrivain hors-du-commun. J'emploie le mot « hors-du-commun » dans un double sens : pour souligner tout d'abord son aura d'artiste ; pour rappeler ensuite, que le brave Victor se tenait fort loin de ce peuple dont il contait les aventures en se gardant bien de se mêler à lui.

Tout à sa fougue pamphlétaire, Paul Lafargue raille le Hugo politique, non point pour son ralliement tardif à l'idée républicaine, mais principalement parce qu'il voit dans le poète lyrique bisontin un opportuniste et un homme d'affaire ayant vendu sa plume à Louis XVIII en échange d'une pension le mettant à l'abri du besoin. Il rappelle opportunément qu'en juin 1848, le futur auteur des Misérables, de royaliste devient républicain, mais un républicain très droitier qui fait le coup de feu contre le peuple de Paris rêvant à une République sociale alliant le travail et le pain. Pour lui la République a les couleurs de l'ordre et du capitalisme, et elle se passe d'utopies émancipatrices. Quand la République bourgeoise tombe entre les mains de Napoléon III en 1851, Hugo s'exile avec sa fortune en Angleterre, à Londres puis dans les îles anglo-normandes « afin de n'être pas navrés du spectacle de la misère » des autres exilés français comme le souligne, sarcastique, l'anarchiste Joseph Déjacque. Il n'y reviendra qu'avec la restauration de la République, troisième du nom, en 1870. La Commune de Paris en 1871 ? Bien trop radicale à son goût ! Hugo aime l'Ordre, autrement dit le respect de la Propriété. La Justice sociale, il n'en a cure : comme l'écrit Lafargue, « l'égalité civile, qui conserve aux Rothschild leurs millions et leurs parcs, et aux pauvres leurs haillons et leurs poux, est la seule égalité que connaisse Hugo ». Il se méfie plus que tout des « rouges », de ceux qui veulent mettre le monde sens dessus-dessous, car du grand chambardement, il aurait tout à perdre. Hugo est un bourgeois républicain qui fait des phrases et se garde bien de s'exposer. Alors « que l'on se nourrit de pain et de viande, Hugo se repaît d'humanité et de fraternité », nous dit Lafargue.

Le 1er juin 1885, une foule immense, de badauds et d'hugolâtres accompagna la dépouille du Grand homme dans sa dernière demeure. Deux ans plus tôt, le très fortuné Victor Hugo, peut-être atteint de crise mystique, avait ajouté à son testament ceci : « Je donne 50 00 francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises. Je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu. » Doit-on voir dans ces quelques phrases la volonté de l'écrivain de s'acheter quelques Indulgences avant de rencontrer le Tout-Puissant ? Allez savoir...