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Depuis vingt-cinq ans, il fait partie de ces guérilleros insaisissables que la dictature espagnole désespère de garotter1. Caracremada est en fait le dernier d'entre eux. C'est à ce personnage énigmatique, légendaire que Thierry Guilabert consacre un livre intitulé Caracremada : vie et légendes du dernier guérillero catalan, livre publié par les Editions libertaires. Evocation plutôt que biographie tant on sait finalement peu de choses sur ce Catalan ascétique, né en 1908 dans un hameau accroché aux montagnes pyrénéennes.



A peine adolescent, Caracremada devient mineur. Il forge sa conscience de classe dans les galeries à silicose, fréquente la CNT, participe aux luttes sociales, connaît la prison. C'est la riposte prolétarienne au coup d'Etat militaire du Général Franco de juillet 1936 qui le fait sortir des geôles. Il rejoint bien évidemment les milices anarchistes, notamment la Colonne de fer, l'intransigeante colonne de Durutti. Vaincu, il passe la frontière, connaît les camps de concentration français, l'occupation allemande, rejoint la résistance dans le Limousin. Caracremada devient le Colonel Raymond dont on loue le courage.
La guerre finie, Caracremada ne se résout pas à voir les démocraties bourgeoises pactiser avec la dictature franquiste au nom de l'anticommunisme. Alors, comme Sabaté et d'autres, il se fait passeur et guérillero. Il entre clandestinement en Espagne, apporte armes et argent à ceux qui luttent à l'intérieur, et au retour, plastique quelques pylônes électriques. La dictature, le monde entier, doivent savoir que la lutte continue.



Le temps passe. Nombreux sont ceux qui tombent sous les coups de la répression : celle des franquistes évidemment, et celle du gouvernement français qui ne tolère plus que les réfugiés espagnols se servent de la France comme d'une base arrière. Nombreux sont ceux qui renoncent à se battre les armes à la main car le combat est perdu d'avance : les gens sont fatigués de la guerre, les organisations trop divisées, le franquisme trop installé dans les têtes. Pas lui, pas Caracremada.
En 1953, un couple de touristes britanniques est pris pour cibles par deux hommes. Dora Peck meurt, criblée de balles. Son époux, grièvement blessé, désigne deux hommes à la Guardia civil. Caracremada est l'un d'eux. Pourquoi cet assassinat inutile ? Nul ne le sait. Mais pour beaucoup, le guerillero devient alors un bandit, un assassin.

Les militants de la CNT ont beau le harceler, rien n'y fait. Caracremada ne peut rendre les armes. Sa guerre n'est pas terminée. Il ne peut faire le deuil de son Espagne rouge et noire. Son destin, il le connaît : il trouvera la mort quelque part dans ses montagnes. En août 1963, son vœu est exaucé. Caracremada n'est plus. L'Espagne vient de perdre son dernier guérillero, ou du moins c'est ce qu'elle croît2.


Notes : 1. Le plus connu d'entre eux est Francisco « Quico » Sabaté : Antonio Teliez Sola, Sabaté – Guerilla urbaine en Espagne (1945-1960), Ed. Repères-Silena, 1990.
2. Lire à ce propos : Gurucharri et Ibanez, Une résurgence anarchiste – Les jeunesses libertaires dans la lutte contre le franquisme (La FIJL dans les années 1960), Acratie, 2012.