Qui était donc Horacio Prieto (1902-1985) ? Un gamin du Bilbao prolétaire que son père voulait appeler Acracio (racine : acratie), ce que l'état-civil refusa car ici-bas, « on n'admet pas de prénoms extravagants » ; et comme nombre de prolétaires de l'époque, c'était un « maketo » (un métèque), un de ces immigrés destinés à suer dans l'industrie locale et à subir le mépris des nationalistes basques.
Horacio Prieto est une tête dure. Dans les années 1920, comme des milliers de libertaires espagnols, il connaît la répression, la prison, l'illégalisme, l'exil, fréquente Garcia Oliver, Ascaco... et les affronte. Car Prieto n'a pas le romatisme révolutionnaire chevillé au corps : une révolution, ça se prépare, ça s'organise, et s'il est bon d'avoir confiance dans les masses, on ne peut sans risque se reposer sur leurs capacités créatrices. Il l'écrit d'ailleurs dans une brochure, Anarcho-syndicalisme : comment affermir la révolution, ce qui lui vaut bien des critiques. C'est que Prieto n'en peut plus de ces révoltes qui s'improvisent ça et là et déciment le mouvement ; et toutes celles qui jalonnent l'histoire de l'Espagne jusqu'à la guerre civile n'ont fait que renforcer ses convictions. Prieto est un « iconoclaste », un « franc-tireur » qui se méfie des anarchistes purs comme des exaltés : jamais il n'adhéra à la Fédération anarchiste ibérique, et quand la CNT, lors de son congrès de saragosse (1936) se refusa à préparer minutieusement le passage à la lutte armée (que tout le monde pressentait), Prieto abandonna son mandat de secrétaire général au Comité national.

Lorsque la guerre civile éclate, Horatio Prieto a fait son choix, et il est cohérent avec ce qu'il professe depuis quelques années  : pour abattre le fascisme et sauver les conquếtes sociales révolutionnaires, la CNT doit partager le pouvoir, accepter la militarisation des milices, mais aussi développer la socialisation des terres et de l'industrie. Il accepte même de seconder un temps Juan Lopez, ministre CNT du commerce, pour qui, d'ailleurs, il n'a guère d'affection. Tout au long de la guerre civile (et dans l'exil), Horacio Prieto défendra coûte que coûte l'union sacrée.
Puis vînt le temps de la Retirada, des ressentiments, des règlements de comptes personnels ou politiques. Horacio Prieto participe pendant vingt années à ce mouvement libertaire en exil, avant de se retirer pour s'adonner à l'une de ses obsessions : écrire. Car ce militant austère voire neurasthénique (si l'on en croit Garcia Oliver), peu chaleureux à l'égard de ses proches, écrit beaucoup. Ecrits théoriques visant à refonder l'anarchisme, mais aussi écrits ésotériques et nébulleux, signes de tourments intérieurs. Pour Lorenzo, sa « rage d'écrire devenait une manière de survivre dès lors que, par défi luciférien pourrait-on dire, il avait choisi de ne pas mettre fin volontairement à ses jours. » Phrase terrible qui en dit long sur la façon dont ce Basque intransigeant et peu amène a vécu le déclin de l'anarchisme ibérique.

A noter :
le point de vue de Frank Mintz sur ce livre
Ma chronique évidemment lapidaire du livre de césar Lorenzo sur le mouvement anarchiste en Espagne paru dans Le Monde diplomatique.

Cette note a été publiée par Courant alternatif dans son n°232 (été 2013)