L'empire de l'illusion
Par Patsy le lundi, mai 14 2012, 21:41 - Notes de lecture - Lien permanent
Chris Hedges
L'empire de l'illusion – La mort de la culture et le triomphe du spectacle
Lux, 2012.
« Au pays de la pensée positive, il n'y a aucune injustice flagrante, aucun abus d'autorité, aucun système économique ou politique à contester, bref, il n'y a aucune raison de se plaindre. Ici, tout le monde est heureux. » (p. 180) Sarcastique, Chris Hedges ? Non, désabusé. Ce journaliste honoré d'un prix Pulitzer dresse dans ce livre le portrait d'une Amérique en pleine déliquescence.
Une Amérique du catch et de l'entertainment, de la célébrité fugace et du narcissisme. Une Amérique où la pornographie se fait de plus en plus violente et sadique pour satisfaire une clientèle de plus en plus jeune (« La violence, la cruauté et la dépravation mises en scène par cette pornographie sont l'expression d'une société qui a perdu tout sens de l'empathie »). Une Amérique dont les universités fonctionnent comme des entreprises conçues et gérées pour produire du sportif de haut-niveau et du conformisme politique et social1. Une Amérique sous l'emprise de la « psychologie positive qui est à l'Etat-entreprise ce que l'eugénisme était au régime nazi » ; ce n'est pas le système ou votre situation économique et sociale qui vous empêche d'être heureux, mais votre « attitude négative ».
L'Amérique de Chris Hedges est un pays qui produit de l'illusion, repose sur des illusions et se décompose dans le culte mortifère de sa vacuité. Pas une once d'optimisme sous sa plume, tout juste écrit-il que l'amour (autrement dit la capacité des individus à faire société) finit toujours par triompher de la mort (autrement dit de la culture de l'illusion)...
On se dit alors que ce réquisitoire, publié en 2009 aux Etats-Unis, est sorti trop tôt, et que le mouvement Occupy Wall Street apporte un démenti à ceux qui ne voient dans les Etats-Unis qu'un gigantesque barnum clinquant, un Empire romain en fin de vie, orgiaque jusqu'à l'absurde. Ce reproche aurait pu être adressé à Chris Hedges. Sauf que l'ancien correspondant de guerre du New-York Times fait partie de ces hommes et femmes qui depuis plusieurs mois occupent le terrain, font entendre une autre voix, celle de l'autre Amérique, celle qui se refuse de se nourrir de spectacles et d'illusions2...
Note
1. Je vous renvoie à la lecture du livre de Duncan Kennedy, L'enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies (Lux, 2010), chroniqué ici
2. La nouvelle revue L'Echaudée publie un article de Chris Hedges (« Qu'est-ce que le mouvement Occupy Wall Street ? ») dans son n°1 (printemps 2012).