Pour expliquer son geste, il a envoyé un e-mail à un certain nombre de personnes, pointant « l'enfer psychologique » qu'il subissait au quotidien, accusant le directeur départemental de la Sécurité sociale, Claude Humbert, de lui « avoir pourri ses deux dernières années sans lui voir laissé la moindre chance de survie », de l'avoir « tué professionnellement, détruit psychologiquement ».
L'an passé, dépressif, il s'était arrêté de longs mois. Il vivait mal la réorganisation des caisses primaires d'assurance-maladie par leur fusion à l'échelle départementale. Car au nom de la rigueur et des contraintes budgétaires, les caisses sont sommées de se croquer les unes les autres, de se partager les tâches, de se répartir les secteurs, tout cela évidemment avec moins de personnel parce qu'il n'y a vraiment que sur le gueux que l'on peut faire de vraies bonnes économies.
Bref, les fusions de caisses primaires ne peuvent s'effectuer sans douleur, d'autant plus qu'elles interviennent dans un contexte de grande pression budgétaire et d'importation de pratiques managériales agressives dans les services etc. Ces fusions bousculent, perturbent, fragilisent les humbles grouillots à qui on demande de faire mieux avec moins et qui assistent à travers cette modernisation à marche forcée à la fin d'un monde, celle qui faisait d'un assuré social... un assuré social, et non un client.

Humbert a pourri la vie d'Hainaut, si l'on en croît ce dernier. Humbert s'en est évidemment défendu de la façon la plus classique. D'un côté, il a dit : « Oui, j'assume mes responsabilités » ; de l'autre, il a tout récusé : les pressions psychologiques, la placardisation, le mépris, ajoutant même n'avoir eu aucun conflit avec Hainaut ! Etre à ce point innocent de ce dont on l'accuse, c'est incroyable ! Et ne pas s'insurger contre une telle atteinte à son honneur, quand bien même celui qui flétrit est passé de vie à trépas, témoigne du courage dont fait preuve Claude Humbert, innocent parmi les innocents... Même s'il a concédé néanmoins ceci, qui sonne comme un aveu : «  On lui avait fait à plusieurs reprises des propositions mais nous n'avions pas vu que ces propositions ne correspondaient pas à ses attentes. » Est-ce à dire qu'Hainaut a pu refuser sans avoir à s'en justifier plusieurs propositions de reclassement ? Parce que dans le cas contraire, alors il n'est pas très compliqué de voir ce qui peut correspondre ou pas aux attentes d'un cadre !
Sacré Humbert. Il a également déclaré : « La caisse est aujourd'hui en construction. Manifestement, il y aura bien des choses à revoir entre nous en matière de communication. » Le mot est lâché : « communication ». Dans leur monde de techno-bureaucrates serviles, tout obstacle trouve sa source dans un déficit communicationnel ; il ne peut en être autrement parce qu'il n'y a pas d'alternative. Trop dociles ou carriéristes pour s'opposer aux injonctions de leurs supérieurs, nos techno-bureaucrates sont là pour faire passer le rouleau-compresseur coûte que coûte, pas pour discuter du chemin à emprunter ou questionner la légitimité de telle ou telle mission. Et si les subordonnés sont incapables d'ingérer le discours de la réforme, faut leur faire rentrer dans la caboche via un plan comm' ou leur imposer une petite séance de coaching durant laquelle le grouillot sera prié de trouver ce qui ne va pas en lui. 
Mais la palme de l'obscénité revient sans aucun doute au président de la CPAM de l’Hérault, Éric Chaveroche. Celui-ci a déclaré : « Thierry Hainaut nous a donné une leçon. Sachons en tirer les enseignements. Faisons en sorte de mieux nous écouter. De mettre en place ce qu’il faut au sein de notre structure pour que plus jamais pareille chose ne puisse se reproduire à la CPAM. » Ce qui, en langage profane, signifie : la modernisation de la Sécu s'effectuera coûte que coûte, l'essentiel étant d'empêcher les gens de passer à l'acte. Des dépressifs, oui ; des suicidés, non ! même si les premiers plombent bien plus que les seconds les comptes de la Sécurité sociale...