Ainsi, Maurice Thorez, que l'on appelait jadis « le premier stalinien de France » du temps où cela n'était pas pour tout le monde une injure, a dit : « Il faut savoir terminer une grève dès l’instant où les revendications essentielles ont été obtenues », phrase que tout syndicaliste peut faire sienne puisque dans un conflit social, on ne défait jamais complètement l'adversaire et que bien souvent, il est même de bon ton, pour l'avenir, de lui permettre de ne pas perdre la face.
Ainsi, Michel Rocard, ancien leader d'un PSU autogestionnaire qui se voulait une alternative politique et sociale au plat réformisme et au rugueux stalinisme, a dit : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part », phrase prononcée devant un auditoire de militants antiracistes et qui n'avait donc rien d'un plaidoyer pour l'immigration zéro comme certains l'ont laissé entendre.

J'aurais aimé sauver l'honneur de ce brave Claude Guéant et vous prouver que le porte-flingue du maire de Neuilly était victime d'un procès en sorcellerie ou de cette sale manie que nous avons de sortir une phrase de son contexte et de disserter dessus toute honte bue. Mais non, Claude Guéant, ancien conseiller sous Giscard d'Estaing du ministre de l'Intérieur Christian Bonnet, d'où son entrain à porter le chapeau, a bien déclaré : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. »
En peu de mots, il nous a appris qu'il y avait une « idéologie relativiste de gauche » qui annonçait que toutes les civilisations se valaient. Je ne savais pas. Je pensais plutôt que les ethnologues, sociologues, anthropologues et historiens, notamment de gauche, s'efforçaient de poser un regard non ethnocentriste sur les cultures et civilisations qu'ils étaient amenés à rencontrer, donc s'efforçaient de les comprendre et non de les évaluer ; chose délicate, j'en conviens, car aucun regard n'est neutre puisque nous sommes tous porteurs d'une culture singulière. Et comme le disait Montaigne « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».

Grâce à Claude Guéant, nous savons maintenant que les civilisations peuvent se classer puisqu'elles ne se valent pas. Il renoue ainsi avec les discours forts en vogue au 19e siècle, quand l’essentiel des intellectuels d’alors, de gauche comme de droite, répétaient que les différents peuples de la terre n'étaient pas arrivés au même stade de développement, et qu'en conséquence, les cultures qu'ils produisaient n'avaient pas la même valeur. Et c'est au nom de la supériorité incontestable de cette soi-disant « civilisation occidentale », au nom du Progrès qu’elle incarne et de l’Humanisme qu’elle porte, que les élites d’alors envoyèrent nos ancêtres coloniser Maghreb et Afrique noire, y apportant le sabre salvateur et le goupillon rédempteur, à moins que ce ne soit l'inverse ; puisqu'il était du devoir des peuples civilisés d'apporter le progrès, le travail forcé, le catéchisme et les enfumades de l'autre côté de la Méditerranée. Après, les « civilisés occidentaux » se firent la guerre qu'ils qualifièrent de mondiale à deux reprises, avec élégance et raffinement comme il se doit.



Pour appuyer sa démonstration, Claude le pathétique se fit même le défenseur de l'émancipation féminine puisque notre « civilisation » leur garantit l'égalité. Une égalité avec un abattement de salaire à qualification égale, une égalité qui les abonne au temps partiel contraint et au chômage, une égalité qui les rend presque invisible dans les différentes sphères du pouvoir politique et économique. Une égalité toute capitaliste et bourgeoise en somme, tout à fait à sa place sur les frontons des mairies, à côté de Liberté et de Fraternité. Ta « civilisation » n’est décidément pas la mienne, Claude.