En publiant cet ouvrage, Agone exhume une facette méconnue de Samuel Lanhorne Clemens (1835-1910), alias Mark Twain. Car celui qui devînt célèbre, riche et honoré, en contant les aventures de deux enfants rebelles des rives du Mississippi, savait également plonger sa plume dans le vitriol pour dénoncer le monde de son temps.
« La prodigieuse procession et autres charges » comprend une vingtaine de textes. Qu'y a-t-il dans le viseur du créateur de Tom Sawyer et Huckleberry Finn ? Le racisme anti-chinois, la lâcheté collective au visage du lynchage, l'impérialisme et son complice, la religion. Certains textes méritent à eux-seuls la lecture de ce livre. Je pense notamment au remarquable « Soliloque du Roi Léopold » (1905) justifiant la conquête et la mise en exploitation du Congo par la violence la plus effroyable1, au « Soliloque du Tsar » écrit la même année, ou encore à deux textes aussi courts que cinglants sur le patriotisme, « ce mot grotesque et risible ». Sans oublier cette « Prodigieuse procession », texte inédit de 1901 dans lequel Mark Twain dépeint le Vingtième siècle naissant de sa plume assassine.

Vingt textes donc, dont une poignée, les plus virulents, fut publiée post-mortem, à la demande de l'auteur. Car on aurait tort de faire de Mark Twain un rebelle. Comme le soulignent préfacier et traducteur, sa « dissidence » fut contrôlée : Twain n'entendait pas que ses convictions politiques n'en viennent à remettre en question sa carrière et sa notoriété ; ce qui fit écrire à Orwell qu'il n'était rien d'autre qu'un « bouffon agréé ». De fait, Twain se conformait à l'image qu'il se faisait des Américains : « Dans notre pays, nous jouissons de trois choses parmi les plus précieuses qui soient : la liberté de parole, la liberté de conscience, et la grande prudence de ne pas les exercer. »

Notes 1. Sur le Congo et le roi des Belges, lire Adam Hochschild, Les fantômes du roi Leopold – Un holocauste oublié, Belfond, 1998.

Cette note a trouvé place dans le numéro de décembre 2011 de Courant alternatif