Cette mise à l'écart est due notamment à cette sentence délivrée par Karl Marx en son temps : « En France (Monsieur Proudhon) a le droit d'être un mauvais économiste parce qu'on le tient pour un bon philosophe allemand ; en Allemagne, il a le droit d'être mauvais philosophe parce qu'on le prend pour le plus fort des économistes français. En notre double qualité d'économiste et d'Allemand, nous nous voyons contraints de protester contre cette double erreur. » (Misère de la philosophie, 1847). Parallèlement, son style échevelé et souvent lyrique, ses déclarations enflammées contre l'émancipation féminine ou ses élans mystiques ont rebuté nombre de lecteurs et lectrices potentiels qui en font un fieffé réactionnaire. En 2004, Sophie Chambost nous proposait « Proudhon et la norme – Pensée juridique d'un anarchiste » (Presses universitaires de Rennes). En 2006, Edouard Jourdain publiait « Proudhon, Dieu et la guerre » (L'Harmattan), livre que nous avions chroniqué à sa sortie. En 2009, Edouard Jourdain récidive avec un texte court, dense intitulé « Proudhon – Un socialisme libertaire » chez Michalon. 100 pages pour aborder les idées fortes de la pensée proudhonienne.

Pour le penseur bisontin, la Justice n'est pas seulement une idée abstraite qui nous est imposée, elle est « une force en prise avec l'histoire » qui s'incarne dans « le mouvement historique perpétuel de la révolution dont la Révolution française, en déclarant les droits de l'homme, constitue une étape décisive. L'histoire de l'Humanité se résume ainsi à la lutte entre la justice, réalisée par la révolution, et les idéologies prônées par les religions de toutes sortes, de l'idéalisme de Platon au messianisme prolétarien de Marx en passant par le christianisme et l'idéologie capitaliste. »

Comme l'écrit Proudhon : « Qui dit Révolution dit nécessairement progrès, dit par la même conservation. » Proudhon, théoricien du mouvement, a en horreur la conservation, cette conservation qui veut priver les individus de leur capacité créatrice. Chaque individu est une force qui doit se dresser contre tout ce qui peut entraver son autonomie et sa liberté, comme l'Etat, son suffrage universel et son soi-disant intérêt général, comme le capitalisme qui engraisse les uns grâce à la plus-value produite par d'autres, comme la religion qui entend imposer son idée de la Justice. C'est par l'affrontement, la confrontation, la tension permanente, mais aussi par son sens moral et la solidarité que l'Homme combat la Domination et se réalise. D'où sa défense d'un fédéralisme intégral, économique et politique, « expression de cette tension entre liberté et autorité qui permet le développement généralisé de l'autonomie des êtres collectifs », qui sont à la fois membres d'un pays, d'une région, d'une commune et travailleurs : « Le fédéralisme libertaire se construit donc de bas en haut, ce sont les groupes de base (à partir de l'individu) qui délibèrent et décident de la politique à mener dans leur quartier puis dans leur commune, leur département etc., suivant l'ensemble concerné par la décision à faire. » Si vous ne connaissez pas la philosophie de Proudhon, ce petit livre, cependant touffu et exigeant, est un excellent outil pour la découvrir.